Chapitre 11. II.

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Valentin,

Je ne sais quand cette lettre tombera entre tes mains, que cela soit dans un siècle, un millénaire ou plus encore...

Mais si tu es ici, c'est que je suis mort et que tu te retrouves à la tête de l'Ordre. C'est que le funeste destin approche. Le danger qui pèse alors sur le monde est tel qu'aucune hésitation ne te sera permise, aucun choix ne te sera laissé. Tu devras refermer le portail entre le monde des Hommes et celui des déesses. Ou alors tu affronteras le prix de ton refus et la Lune détruira tout. J'ose espérer que tu es devenu un homme digne de porter un tel destin sur ses épaules. Car quand la Mort a répandu ses volontés, c'est ton nom qu'elle a murmuré...

Ce sortilège vieux comme le monde dont tu es très certainement à la recherche a été retranscrit par Valentinus, mon honorable père, sous la dictée de notre vénérée déesse.

Il nécessitait trois ingrédients. Pour qu'à jamais soit scellé le sort de la magie, et pour qu'elle soit bannie pour toujours de notre monde, trois générations devront en devenir une, le sang d'une lignée brisée enfin réunie devra couler et le réceptacle devra être détruit.

Et si deux de ces ingrédients étaient en dehors de ma portée, un d'eux relevaient de ma responsabilité.

Tu n'es plus un simple homme, Valentin. Tu es le Patron. Il faudra que tu prennes la bonne décision, qu'importent les conséquences, qu'importe le prix à payer, qu'importent tes propres sentiments.

Comme j'ai dû le faire.

Ton grand père, mon père, le premier des faucheurs, n'a jamais pris sa retraite. Il est mort. Mort depuis ce jour où j'ai annoncé son départ à l'Ordre. Mort en Patron.

Et c'est moi qui l'ai tué. Avant d'enterrer son corps à l'endroit même où j'ai battis cette maison dans laquelle tu te tiens, entre les deux chênes sacrés.

Comme tu le sais, chaque membre de notre lignée est lié. Notre sang est béni par la Mort, nos vies lui appartiennent entièrement. Et nos pouvoirs réunis ne connaissent pas de limites.

Or pour que ce sortilège qui sera la planche de salut du monde se réalise, il faut que nos pouvoirs ne fassent qu'un.

Il fallait que les dons de mon père deviennent miens.

Et il fallait que mes dons deviennent tiens.

Le fait que tu lises cette lettre voudra au moins dire que tu n'as pas eu à commettre le parricide qui hante mes nuits. Car alors, je serais mort avant de pouvoir te révéler l'ampleur de ta mission.

Le reste repose donc entièrement sur des épaules. Ne flanche pas. Ne faiblis pas. Sois fort et ne t'autorise aucun doute, aucun remord, aucun sentiment. L'avenir de l'équilibre du monde repose sur ta capacité à affronter ton funeste destin.

Je compte sur toi, mon fils. Ne me déçois pas. Ne nous déçois pas...

La Lune doit être détruite. Quoiqu'il en coûte.

Amadeus, Grand Patron de l'Ordre des faucheurs.

Nahima replia soigneusement le parchemin, avec des gestes lents et maîtrisés, dissimulant à merveille ce qu'elle aurait pu ressentir au fil de sa lecture. Elle ne laissa rien paraître, pas la moindre réaction.

« Au moins savons-nous désormais ce que signifiait les « trois générations en une » de l'énigme, finit-elle par soupirer, ses traits figés en une expression songeuse.

Les faucheurs IV - Funeste DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant