— Pourquoi moi ? maugréai-je.
— Écoute ! Il faut se couper l'intérieur de la main gauche. Moi, j'en suis bien incapable.
Je tressaillis légèrement. D'aussi loin que remontaient mes souvenirs, grand-mère avait toujours eu une cicatrice traversant sa paume gauche.
— Allez ! On va s'amuser ! reprit Aline.
— Je ne savais pas que s'entailler la main était plaisant. Tu as de drôle de passe-temps !
— Oh ! Tu as accouché trois fois. Tu ne vas pas me dire qu'une petite coupure te fait peur !
Je fis la moue.
— Ne me dis pas que tu crois en la magie ! se moqua-t-elle, hilare.
— Non ! Bien sûr que non ! objectai-je.
— Bah alors ! Qu'est-ce qui t'empêche d'essayer ?
Elle traversa la serre, m'attrapa par le bras et me guida vers le bureau. Je saisis une des deux chaises et la traina jusqu'à moi. Le bruit du métal frottant la tomette résonna. Je m'assis. Aline avait pris la trousse de premiers secours de mamie.
Nous avions toujours pensé qu'elle était utile pour les petits accidents de jardinage. Mais finalement n'était-elle pas nécessaire à d'autres activités plus clandestines ?
Ma cousine suivit la recette à la lettre. Elle frotta plusieurs herbes sur la feuille, en formant des cercles, ou des lignes. Puis elle me saisit fermement la main gauche et y déposa un mélange de plantes et de fleurs séchées.
Elle me força à fermer le poing. Les pétales, les tiges et les feuilles se broyèrent sous mes doigts. Elle compta jusqu'à cinq avant de me demander de le rouvrir et souffla sur les résidus de végétaux qui s'envolèrent, libérant leurs douces odeurs. Je reconnus un peu de lavande. Mais cela s'évapora trop vite pour que je puisse en distinguer d'autres.
Elle attrapa un couteau qui traînait sur le bureau, murmura, si doucement que je ne compris pas les mots prononcés, et me trancha l'intérieur de la main. Je sentis la brûlure de la lame séparer en deux ma peau puis la chair en dessous. Je sursautai en grimaçant.
Ma cousine, enivrée par le vin, rit et me réprimanda ; alors même qu'elle aurait été bien incapable de subir ce qu'elle venait de me faire. Le sang ne tarda pas à affluer. Une odeur métallique envahit l'atmosphère. Elle tourna ma main au-dessus d'un bol en céramique pour le recueillir. Il me parut couler à une vitesse incroyable. Pourtant l'entaille n'était pas si profonde. Refusant toujours de croire à la magie, j'accusai mon imagination.
Aline semblait vraiment s'amuser. Affaiblie par le vin, je n'avais pas la force de protester.
— Je pense que ça suffira, déclara-t-elle avant de retourner ma main vers le ciel et de souffler dessus.
Le flux s'écoulant de la blessure sembla ralentir. Elle mit une compresse sur la plaie et l'enroula de sparadrap avant de me tendre la plume de calligraphie de grand-mère et la feuille qu'elle venait d'ensorceler. Je levai les yeux au ciel en les attrapant. Aline m'avait toujours poussée à faire des choses ridicules. Celle-là était bien la pire de toutes.
Je notai : 26 août 2000.
Soudain les portes que nous avions laissé ouvertes claquèrent et les flammes des bougies furent soufflées. Ma cousine poussa un petit cri aigu et alluma la lampe de son téléphone. Je ne pus m'empêcher de rire. Quelle froussarde !
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Nouvelles sorcières
ParanormalBienvenue dans ce recueil de nouvelles. Je les publierai de façon non régulière au gré de leur écriture ou de leur réécriture. Beaucoup de ces histoires ont été créés pour des concours ou des appels à textes. Elles n'ont donc rien en commun à part l...
