14. Alliance

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En raison de l’effervescence générale, les domestiques eux-mêmes avaient reçu une demie journée de congés. Contrairement à la quasi-totalité des résidents du palais impérial, Jade n'était pas allée assister au départ de l'empereur et du prince Philippe. La jeune fille déambulait donc pratiquement seule dans les couloirs désertés, ce qui ne lui était encore jamais arrivé depuis son arrivée ici. Il y avait foule ici, habituellement, et les serviteurs n’avaient nul droit de se montrer dans les espaces dédiés aux courtisans et visiteurs. Personne n’était cependant là pour voir Jade enfreindre cette règle. 

Jetant de petits regards coupables autour d'elle, la jeune fille s'avança prudemment vers la majestueuse entrée d'apparat du palais. L'immense salle était aussi belle que dans ses souvenirs. Observant avec émerveillement les plantes verdoyantes qui tapissaient la pièce, Jade se dirigea lentement vers la cascade qui dégringolait le long de l'escalier et se pencha vers un bassin dans lequel évoluait des milliers de poissons colorés. Petite, la princesse avait passé des heures à les contempler. Une fois, avec son cousin, elle avait même décidé d'en pêcher. Ils avaient trouvé dans le jardin deux grands bâtons auxquels ils avaient attaché des ficelles et un crochet en métal. Jade avait trouvé dans le jardin deux asticots bien gras pour tenir lieu d'appâts. Un garde les avait arrêtés bien avant qu'ils ne puissent attraper le moindre poisson et ils avaient été réprimandés.

Un bruit de pas pressés se fit entendre au loin. Vivement, Jade se glissa dans l'ombre d'un arbuste et vit passer un petit serviteur portant un grand papier, visiblement suffisamment en retard pour avoir décidé lui aussi de s'abstenir d'emprunter les couloirs parallèles des domestiques. Dans sa hâte, il n’aperçut pas la jeune fille. Jade sentit néanmoins que son moment de solitude venait d'être altéré. En jetant un nouveau regard à la vaste pièce, elle eut l'impression que cette entrée n'était finalement pas aussi grande, pas aussi belle que dans ses souvenirs d'enfance. Déçue, elle se retourna et remarqua qu'elle se trouvait à côté d'un vaste miroir à demi caché par les plantes. Il n'y avait aucune glace dans le quartier des serviteurs et elle n'avait pas l'autorisation de se regarder dans celles qui se trouvaient dans les appartements qu'elle desservait. Elle avança donc résolument vers le miroir, un peu curieuse d'observer son apparence après plusieurs mois. Le reflet qui lui faisait face était celui d'une jeune fille fatiguée vêtue d'une robe propre mais simple. D'une jeune fille pauvre, qu'on ne remarquait même pas. Ce n'était pas là l'apparence qu'aurait dû avoir Jade. Cette petite servante aurait dû être remplacée par une resplendissante jeune femme couverte de bijoux précieux. Une princesse.

Agacée, Jade détourna la tête et décida de poursuivre son exploration plus loin. Pour gagner du temps, elle s'engagea cette fois-ci un couloir parallèle qui lui permettrait d'emprunter un raccourci. Elle voulait se rendre dans une partie du palais qu'elle n'avait jusque-là pas encore osé visiter et qu'elle n'était pas chargée de desservir en tant que servante. Il était également vrai que le temps lui avait manqué. La princesse n'aurait jamais imaginé qu'un servante travaillât autant. Elle n'avait presque aucune minute à elle. Si sa tâche principale consistait dans la livraison des plats, elle aidait également à installer et débarrasser les tables et passait de longues heures à nettoyer les plats. Le soir, elle se couchait parfois tard et devait être debout avant l'aube si bien que chaque minute de sommeil était précieuse. De plus, elle partageait sa chambre à coucher avec dix autres servantes, si bien qu'il lui était presque impossible de s'éclipser discrètement. Les seuls moments où elle empruntait les couloirs parallèles étaient donc ceux où elle apportait des plats, et elle devait ensuite se hâter de revenir pour ne pas se faire houspiller.

Jade se trouva face à une bifurcation et s'engagea sans hésiter vers la gauche. Malgré les années passées au loin, son sens de l'orientation n'avait pas disparu. Elle ne tarda pas à atteindre la sortie et s'engagea dans le couloir principal tout aussi désert que le reste du palais, le cœur battant. Elle n'eut à parcourir que quelques mètres avant d'atteindre son objectif. Prudente, la jeune fille frappa un petit coup discret contre la porte, comme elle le faisait habituellement lorsqu'elle venait apporter ses plats. Elle attendit, et, comme elle l'espérait, personne ne vint. La jeune fille ouvrit alors lentement la porte et s'engagea dans le vaste appartement qui avait été les siens, avant son exil. Elle s'arrêta alors, croyant s'être trompée. La première pièce n'était pas du tout comme elle aurait dû être. A la place des tapisseries aux oiseaux qui ornaient jadis les murs, on trouvait à présent des dames et chevaliers à la chasse, au banquet ou assistant à un tournoi. La pièce suivante était tout aussi déroutante pour Jade. Elle ne connaissait pas le vaste lit à baldaquin placé au centre de la chambre. La jeune fille s'approcha de l'un des coffres placés contre le mur et l'ouvrit. Il était rempli de robes de grands prix soigneusement pliées. Visiblement, ces appartements étaient ceux d'une dame de la cour, probablement de haut rang. La jeune fille sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle n'aurait jamais imaginé qu'on puisse avoir touché aux appartements de la princesse héritière, malgré son absence. On les avait donnés à une autre, comme si la princesse n'avait jamais existé ! Comme si elle était morte et ne devait jamais revenir. L'empereur et l'impératrice n'avaient jamais eu l'intention de rappeler un jour leur fille. Ils avaient même effacé toute trace de son existence.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 10, 2021 ⏰

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La princesse maudite. Le roman de l'Apô-ny, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant