1. La gouvernante du palais

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Seules trois femmes attendaient dans la petite entrée, les yeux baissés. La gouvernante s'avança de son pas raide, les jaugeant rapidement du regard avec une petite moue désapprobatrice. Le choix était bien maigre aujourd'hui. Auparavant, les postulantes dépassaient la dizaine, mais, ces derniers temps, les gens n'aimaient pas beaucoup se déplacer. À cause de ces rumeurs. La gouvernante ne savait pas si elles étaient vraies. Cela ne l'intéressait pas vraiment. Elle était là pour faire fonctionner l'intendance du palais, le reste l'importait peu.

Les trois candidates levèrent timidement les yeux en l'entendant avancer. La gouvernante leur adressa sèchement un signe de tête avant de les examiner plus attentivement. Elle s'occupait toujours elle-même du recrutement, ayant un œil sûr pour juger de la valeur d'une personne. Il était très désagréable d'engager des paresseux ou des fauteurs de trouble.

La première femme, plutôt corpulente, était d'un âge assez avancé mais semblait encore robuste. Ses mains puissantes serviraient à essorer le linge. La deuxième postulante était presque encore un enfant. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans. Elle plissait anxieusement les traits disgracieux de son visage ingrat. Pour elle, pas de travaux physiques trop difficiles. Chez les tisseuses peut-être ?

Sans se décider sur le moment, la gouvernante s'intéressa à la troisième fille. Ce qu'elle vit lui fit légèrement hausser les sourcils. La créature qui lui faisait face était d'une incroyable beauté. Ses long cheveux noirs descendaient en cascade sur son dos. Ses yeux étaient étranges. L'un noir comme la nuit, l'autre bleu comme la glace, inquiétant. La jeune fille était vêtue d'une robe qui avait certes connu de meilleurs jours, mais était de qualité supérieure. Sans doute s'agissait-il d'un membre d'une famille bourgeoise ruinée et d'un rang insuffisant pour placer la jeune fille comme dame de compagnie. La fille n'avait pas l'attitude d'une servante mais plutôt d'une personne habituée à être servie. Une beauté pareille ne resterait pas longtemps domestique. Si elle était aussi éduquée qu'elle semblait l'être, elle trouverait facilement à se marier avec un bon parti, même sans dot. A moins qu'elle ne devienne la maîtresse d'un courtisan du palais. Ce ne serait pas les propositions qui manqueraient. En attendant, il fallait bien lui trouver une occupation. Ses traits étaient brillants de détermination et la veille femme était certaine qu'elle n'était pas paresseuse.

La gouvernante leva le menton et désigna successivement chacune des candidates. Elle ne leur demanda pas leur nom, cela n'avait aucune importance pour elle. En revanche elle n'oubliait jamais un visage.

— Toi, rejoins le quartier du linge et les lavandières. Toi, tu seconderas pour le moment les fileuses. Descendez l'escalier et traversez la cour. Vous verrez là-bas avec les responsables pour la solde et le logement. Allez-y, qu'est-ce que vous attendez ? Quant à toi, sais-tu lire ?

La belle jeune fille la dévisagea un instant avec ses yeux si étranges, semblant hésiter.

— Non, finit-elle par répondre.

La gouvernante était presque certaine qu'il s'agissait d'un mensonge, mais elle n'insista pas. Après tout, les drames familiaux ne la regardait pas. Elle avait assez de problèmes à régler pour s'occuper de ceux des autres.

— Tu serviras en cuisine, trancha-t-elle. J'y vais, suis-moi.

Elle se mit en route sans un regard en arrière. Il y avait tant de choses à faire au palais qu'elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps. Elle entendait cependant les petits pas de la nouvelle servante qui l'accompagnait docilement. Elles gagnèrent rapidement la vaste cuisine du palais dans laquelle des centaines de personnes s'activaient. Il y avait tant de monde à nourrir dans le palais que les feux de la cuisine fonctionnaient continuellement de l'aube à minuit. Des petits marmitons courraient dans tous les sens pour aller puiser de l'eau ou apporter des ingrédients. Des servantes portant des plats aux mets variés entraient et sortaient à rythme régulier. Des gros cuisiniers touillaient leurs chaudrons ou retournaient leurs broches devant les cheminées. Une odeur d'épices trop prononcée pour être agréable flottait dans l'air.

La gouvernante était habituée à toute cette agitation, mais elle remarqua du coin de l'œil que sa nouvelle servante avait pâli, l'air un peu perdu de se retrouver entourée de tant de monde. Elle allait devoir s'y habituer si elle voulait pouvoir gagner sa vie.

D'un œil expert, elle repéra une jeune femme mince d'une vingtaine d'années qui passait avec un plateau dans la main. Elle lui fit signe de venir.

— Ça sera ta patronne, déclara-t-elle à la jeune fille qui regardait autour d'elle d'un air toujours aussi effaré. Anisse est la responsable des livreuses de plats.

Cette dernière arriva à ce moment-là et salua la gouvernante avec respect.

— Madame. Que puis-je pour vous ?

La gouvernante désigna la nouvelle du menton.

— Voici une serveuse pour remplacer le départ de la dernière. Je vous charge de lui apprendre les bases.

Elle tourna sans plus de façon les talons pour aller se consacrer à ses autres tâches. Une fête allait bientôt être donnée en l'honneur du dix-neuvième anniversaire du Prince Philippe et elle était chargée d'en organiser les moindres détails. Elle avait donc du travail jusqu'au dessus de la tête.

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Bonjour à tous !
Voici enfin la suite du Mage rouge. Comme le tome précédent, les chapitres de Al sont écrits par Eleirdalag et ceux de Jade par moi. Je m'occupe aussi de ceux d'un nouveau personnage, le prince Philippe (on l'avait brièvement vu dans le tome 1).

La princesse maudite. Le roman de l'Apô-ny, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant