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Les deux jeunes filles marchaient le long d'un chemin de terre qui paraissait sans fin, sinueux et rendu boueux par l'hiver qui n'était pas encore totalement parti. Caché à l'ombre des pruniers, l'endroit était à l'écart de la ville, un petit bout de campagne au milieu des maisons, là où le chant des oiseaux dominait le Klaxon des voitures.

Yume était la première. Ses pieds avançaient vite, comme si elle était pressée, qu'elle avait quelque chose à faire ce dimanche matin-là. Hana suivait, un peu plus lente, s'appliquant à éviter les flaques d'eau pour ne pas salir le vernis de ses bottines. Elle ne savait pas pourquoi Yume l'avait conduite là. Quand elles étaient encore toutes les deux assises sur le banc, Yume s'était levée et lui avait simplement dit : « Suis-moi. » C'était un « suis-moi » hésitant, maladroit, un peu tremblant, émis tout bas. C'était une demande plus qu'un ordre. Sûrement était-ce le côté gauche de Yume, avec sa voix qui peinait parfois à se faire entendre, ses doigts tachés de peinture, ses sweats trop grands et ses cheveux abîmés, qui avait donné envie à Hana d'accepter de la suivre. Yume n'était pas comme Hana. Elle ne jouait pas à être parfaite. Elle affrontait le monde et vivait pour elle-même, quitte à se retrouver seule. Il y avait un mot qui traversait l'esprit d'Hana quand elle songeait à cela. Courage. Yume était courageuse. Et elle avait voulu partager un peu de son courage en disant à Hana, cet autre jour, que son regard était sombre, comme une façon de l'alerter, de lui dire « le cacher va te rendre plus malheureuse que tu ne l'es déjà ».

Arrivée sur un pont enjambant un faible cours d'eau, Yume s'arrêta. Elle désigna du doigt un arbre dont les branches penchaient timidement vers le ruisseau, attirées par son éclat au soleil mais n'osant pas le toucher. C'était un magnolia, mais il était moins harmonieux que celui sous lequel Hana s'était assoupie. Il paraissait las, chétif, un vieil arbre qui avait trop vécu. En le regardant plus attentivement, Hana se rendit compte que ses fleurs s'étaient embrunies.

– Le printemps est fragile, commenta-t-elle. Les fleurs meurent déjà.

– Quand il fait froid, certaines ne survivent pas. Celles-ci n'ont pas supporté.

Hana eut un sourire compatissant pour le magnolia. Sans ses bijoux roses, il avait quelque chose d'assez pathétique.

– Alors il n'y aura pas beaucoup de fleurs cette année.

– Il y en aura plus l'année prochaine, répondit Yume.

Les deux jeunes filles s'échangèrent un regard. Du haut de ses talons, Hana était un peu plus grande que Yume. Pourtant elle se sentait minuscule à ses côtés.

– Pourquoi tu m'as emmenée ici ? lui demanda-t-elle.

Silencieusement, Yume descendit du pont et s'approcha du ruisseau. Quelques pétales suivaient son léger courant, délicatement posés à la surface de l'eau. Elle tenta d'en attraper un ou deux.

– Tu es un bourgeon qui a peur d'éclore. Est-ce que tu sais pourquoi ?

– J'ai peur de ne plus être à l'abri des intempéries. J'ai peur du monde et de l'inconnu.

– Et donc, de quoi tu as peur ?

Hana fronça les sourcils. Elle réfléchit quelques secondes, ne voyant pas à quoi pouvait faire référence Yume. La pluie, le vent, l'orage, le monde qui l'aspire, voilà de quoi elle avait toujours eu peur. Sous son bouclier de feuilles, elle était protégée. Rien de tout cela ne pouvait l'atteindre.

Yume laissa quelques pétales brunis se déposer sur ses doigts. Le vent s'était calmé et les oiseaux avaient cessé de chanter quand, sans regarder sa camarade et sans attendre qu'elle réfléchisse davantage, elle répondit à sa place :

– Tu as peur de la vie.

Au printemps prochainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant