Le silence se fit et cette fois-ci, Hana n'en fut pas gênée. Elle ne prit pas la peine de ranger ses boucles derrière ses oreilles, laissant ses mèches lui barrer le visage. Elle ne se préoccupa pas des pans de sa robe qui s'étaient accrochés aux branches d'un lilas. Elle ne réfléchit à rien d'autre qu'à Yume qui lui parlait.
– Tu as peur de la vie, répéta cette dernière. Tu as peur de naître pour mourir l'instant d'après. À cause d'une pluie trop abondante, d'une tempête qui arracherait ta corolle, d'un orage qui te foudroierait, du froid qui te gèlerait. Tu ne veux pas éclore parce que tu sais que si tu éclos, tu faneras un jour.
Yume se rapprocha lentement d'Hana, les pétales dans les mains.
– Tu ne veux pas disparaître, quitte à ne jamais naître. Tu ne vis pas vraiment alors tu joues volontairement un rôle de fille parfaite, dans l'unique but de te sentir exister aux yeux des autres.
Elle prit les mains d'Hana et déposa dans le creux de ses paumes les pétales. Ils étaient abîmés, hâlés par le froid qui les avait gelés les nuits dernières. Des fleurs qui avaient éclos et fané dans la même semaine, peut-être le même jour.
– La vérité Hana, c'est que tu t'es déjà ouverte. Tu es une fleur qui a poussé, qui a grandi et qui s'est épanouie plusieurs fois. À chaque printemps tu renais. Mais le monde a souvent été trop froid pour toi, et tu as parfois rapidement fané. Depuis, tu as peur d'éclore, et tu t'en veux de préférer rester un bourgeon.
Hana regarda les pétales glisser légèrement contre sa peau, au rythme du vent. Ses lèvres tremblaient tandis qu'elle remarquait que le ciel se grisait peu à peu. Le paysage avait changé. Alors qu'il était si lumineux quelques minutes auparavant, Hana ne voyait plus que les nuages, le magnolia gelé, les pétales brunis.
– Ne crains pas d'éclore, reprit Yume. Oui, tu faneras un jour, mais tu te réveilleras à chaque printemps. Les arbres fleurissent, puis donnent des feuilles et des fruits qui finissent par tomber, et au printemps d'après tout recommence. Quelquefois l'hiver est long, et il n'y a ni fleur ni fruit cette année-là. Le vide s'installe. On ne pense qu'à ces arbres qui restent dénudés, comme perpétuellement plongés dans l'hiver. On oublie que tout finira par repousser, que la vie, c'est éclore, s'épanouir et faner à l'infini.
– Mais la vie est terrifiante, émit Hana tout bas.
– Oui, elle l'est. Il faut savoir s'en faire une amie, la comprendre et la suivre au gré des saisons.
– Les saisons sont cruelles. Elles m'inondent sous la pluie et parfois m'assèchent sous le soleil. À chaque fois je dois attendre de renaître au printemps d'après. Je n'en peux plus. C'est fatigant de vivre et je ne veux plus être fatiguée.
– Pour l'instant tu as peur de mal t'y prendre, tu as peur de tout rater, de faner trop vite à nouveau. Tu es paralysée et l'angoisse te fatigue. Ce n'est pas grave.
Yume se baissa et décrocha la robe d'Hana qui s'était prise dans des branches. Elle passa les doigts sur les bourgeons verts, légèrement rosés aux extrémités, qui naissaient calmement sur le bois du lilas. Sans prévenir, elle prit la main d'Hana, faisant tomber en maigre pluie les quelques pétales brunis, et la guida jusqu'aux bourgeons. Surprise, la jeune fille s'agenouilla auprès de sa camarade et frôla de son index une fleur qui s'apprêtait déjà à naître, même si tôt dans l'année.
– Tu te rouvriras quand tu te sentiras prête, décréta Yume.
Hana eut un regard appuyé pour l'entièreté du lilas. Il avait survécu au gel et ses bourgeons écloraient bientôt. Une source d'espoir au milieu d'un paysage figé dans l'hiver. Il avait fait froid les nuits précédentes mais le printemps apparaissait malgré tout cette année-là. Les pâquerettes jonchaient les sols, et le parc était décoré de rose et de blanc à chaque recoin. Tout n'était pas fleuri ; le renouveau prenait simplement le temps qu'il lui fallait.
– D'accord, chuchota Hana. J'attendrai d'être prête.