Le ciel s'était partiellement découvert quand Hana était rentrée chez elle, trempée jusqu'à l'os. Les nuages n'étaient plus tout à fait gris, ils prenaient aux extrémités les nuances dorées du soleil. C'était une amère soirée d'avril, teintée de tristesse, parée des couleurs douces d'un printemps fragile.
Hana regarda par la fenêtre de sa chambre l'arbre qui ornait son jardin. Ses bourgeons n'avaient pas encore éclos, eux non-plus. Elle repensa à cette branche sur laquelle elle était perchée, là où personne n'était jamais allé la chercher. Elle sentit à nouveau la peur lui serrer la gorge. Elle ne savait pas éclore sans compagnon. Elle ne pouvait pas affronter le monde toute seule, ni vivre sans personne pour l'épauler.
Elle attrapa son téléphone, prise d'une crainte irrationnelle, et, les doigts tremblants, appuya sur le contact de Yume qu'elle venait tout juste de rajouter à son répertoire.
Yume, est-ce que tu sais grimper aux arbres ?
C'était la première fois qu'elle lui envoyait un message. La conversation commençait d'une étrange manière mais Hana savait que Yume comprendrait. Elles s'étaient bien entendues pour cette raison : elles n'avaient pas besoin de mettre des mots précis sur les choses. Parler en images suffisait.
Elle n'eut pas à attendre longtemps une réponse :
Non.
Ce mot simple suffit à faire monter les larmes aux yeux d'Hana. Qu'avait-elle ce jour-là ? Elle qui d'ordinaire savait si bien dissimuler sa cacophonie intérieure, elle se sentait en cet instant instable, sensible, presque fragile, comme risquant de se fissurer. Un bourgeon qui s'apprêtait à faner avant même d'être né.
Elle aurait dû s'y attendre. Yume était une fille solitaire. Elle ne savait pas grimper aux arbres et rejoindre les autres. Elle était une fleur sauvage qui poussait seule de son côté. Cette idée compressa la poitrine d'Hana. Elle avait vu en Yume une amie qui resterait avec elle, mais personne n'avait enseigné à Yume comment conserver les relations, comment arroser tous les jours les fleurs de son jardin pour en récolter des fruits l'été venu.
Hana sentit son téléphone vibrer à nouveau. Elle jeta un coup d'œil embrumé de larmes à son écran.
Mais tu peux m'apprendre.
Un faible sourire traversa ses lèvres. Son cœur se fit plus léger. Elle regarda de nouveau son arbre. Après tout, il n'était pas très grand, ses branches n'étaient pas bien hautes. Il ne devait pas être difficile de s'y hisser, du moment qu'on se trouvait à ses pieds. La question n'était pas tellement de savoir si Yume savait grimper aux arbres, mais si Hana lui déverrouillerait le portail de son jardin. Et, quelque part, elle le lui avait ouvert dès le jour où Yume avait remarqué son regard sombre.
Hana n'avait qu'à inviter Yume chez elle, et elle lui donnerait quelques conseils pour réussir à grimper à l'arbre. Ainsi, tout là-haut, Hana ne serait plus un bourgeon laissé seul sur sa branche. Yume ne pourrait pas toujours être là, car cet arbre n'était pas sa maison à elle, mais elle viendrait de temps en temps tenir compagnie au bourgeon, lui parler des saisons, de la pluie, du soleil, du froid et de la vie. Peut-être qu'un jour elle l'inviterait chez elle, elle aussi, lui ouvrirait son propre petit jardin, lui raconterait ses histoires, lui montrerait ses dessins. Elles pourraient marcher ensemble sous les averses tout l'hiver durant. Le bourgeon n'aurait plus à se confronter au monde sans personne à ses côtés.
Et venu le printemps prochain, Hana saurait éclore sans avoir peur de faner. Mais pour l'instant, elle attendait d'être prête.