Hana était un bourgeon qui avait peur d'éclore. Le printemps se posait sur ses paupières, ses joues et jusqu'au bout de ses doigts, mais elle avait peur de s'ouvrir et de se laisser happer par le monde. Le beau temps n'était pas éternel, et elle craignait la pluie entre deux soleils. Elle ne voulait pas fleurir si c'était pour se mettre à nu et subir toutes les intempéries, les averses et les tempêtes. Là, recroquevillée sous son armure de feuilles, perchée tout en haut de son arbre, personne ne pouvait l'attraper et rien ne pouvait la toucher.
Hana se sentait parfois un peu seule. Cachée là où elle était, elle ne pouvait ni voir ni se faire entendre, car il n'y avait rien pour l'écouter, ni ami ni confident. Elle percevait bien des connaissances l'appeler de loin, au pied de son arbre, mais ce n'était pas vraiment à elle qu'ils s'adressaient. Hana n'était pas la fille joyeuse qu'ils connaissaient à l'école. Elle était bien différente de ce qu'elle se plaisait à montrer. Hana ne se sentait pas comme les autres ; elle était un bourgeon laissé seul au sommet d'un arbre auquel personne n'avait jamais grimpé. Ses camarades de classe aimaient sa surface, son joli visage et sa féminité, mais ils ne savaient rien du reste. Ils ne voyaient pas le bourgeon apeuré qu'elle était tout au fond, et s'ils l'avait vu, ils l'aurait probablement rejeté. Personne n'aime les bourgeons qui ne donnent pas de fleur.
Hana allait en cours comme si de rien n'était, le sourire aux lèvres, les pommettes poudrées pour effacer son teint maladif. C'était plus facile de maquiller la réalité que de la montrer telle qu'elle était. Si sa peur incessante du monde ne la quittait pas, Hana comblait le manque en se parant de rose, de vert et de mauve, pour ressembler à la fleur qu'elle ne connaîtrait jamais, pour donner l'impression de s'être épanouie et oublier le véritable bourgeon qu'elle était. On l'aimait ainsi, déguisée des pieds à la tête pour ressembler à quelqu'un qu'elle n'était pas. On aimait quand elle mentait. Alors Hana avait fait du mensonge sa seconde langue. Quand on lui demandait comment elle allait, elle répondait qu'elle était heureuse. Quand on l'embêtait un peu, elle acceptait la situation sans broncher. Quand elle recevait des déclarations d'amour, elle prétendait aimer réciproquement ses admirateurs. Il ne fallait pas fissurer son portrait de gentille fille.
Elle s'enfonçait dans le mensonge, et chaque jour se maquillait un peu plus que la veille, poudrait ses joues et peignait ses lèvres, jusqu'à avoir le visage cramoisi. Elle se faisait la réflexion, tous les matins devant le miroir, qu'elle s'apparentait à un clown triste. Elle se sentait pathétique, mais ce que les autres voyaient était une jeune fille souriante et bienveillante, et tout ce qui comptait était ce que les autres pensaient. S'ils ne voyaient pas le bourgeon pitoyable qu'elle était, alors le secret était gardé et tout allait pour le mieux.