❀ huit ❀

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L'après-midi touchait à sa fin lorsque Hana se décida à rentrer chez elle. Elle avait passé la journée avec Yume. Elles n'avaient pas beaucoup parlé. Elles avaient écouté les oiseaux, le vent dans les feuilles, les bruits de la ville. C'était étonnant. Elles étaient intimidées l'une par l'autre la veille encore, et pourtant le silence qui les accompagnait ce jour-là était rassurant.

Alors qu'elles marchaient côte à côté le long d'une rue déserte, Hana reçut une goutte sur le bout du nez. Comme l'assombrissement du ciel l'avait prévu, il se mit à pleuvoir. Yume sortit un parapluie de son sac et les abrita toutes les deux sous la toile colorée. Mais, sans tout de suite comprendre pourquoi, Hana ressentit le besoin de s'en écarter. De voir les gouttes s'écraser contre sa peau. De sentir le froid transpercer sa robe et la frigorifier tout entière. Inconsciemment, elle se mit à sourire, d'un sourire trempé par la pluie.

– Hana, émit Yume doucement. Tu vas attraper froid.

Son amie lui adressa un regard joyeux, presque euphorique, qui sonnait étrange contre le fond gris.

– C'est toi-même qui me l'a dit, répliqua-t-elle d'un rire léger. Les fleurs ont besoin d'être arrosées !

Sous l'averse, il ne fallut pas longtemps avant que ses cheveux dégoulinent et que son maquillage se mette à couler. Sa robe avait perdu sa belle couleur mauve pour s'assombrir sous l'effet du tissu trempé, et ses bottines étaient rendues boueuses par leur escapade sur le chemin aux fleurs fanées. Hana était loin d'être parfaite ; ses boucles avaient disparu et son mascara encrait ses joues. Elle aurait donné l'impression d'une fille désespérée, si seulement elle ne jonglait pas d'un pied à l'autre, comme dansant sous la pluie. Elle ne songea pas à ce que penseraient les passants en la voyant dans la rue. Elle n'appréhenda pas la réaction de ses parents quand elle rentrerait chez elle. Elle ne s'était jamais sentie aussi légère que ce soir-là où son masque était enfin tombé.

Cachée sous son parapluie, Yume regardait la scène d'un œil amusé. Elle s'arrêta au pied d'un réverbère et contempla Hana poursuivre sa petite chorégraphie, avançant le long du trottoir sans s'apercevoir qu'elle était seule. Quand cette dernière s'en rendit compte, elle se retourna et rit de bon cœur. Ses traces de mascara donnaient l'impression qu'elle venait de pleurer, ce qui peignait d'elle un étrange portrait. Sa voix tremblait même légèrement, mais ses rires, qui résonnaient en échos, avaient été puisés tout au fond de sa poitrine, sans aucune trace de perfection recherchée, de rôle à jouer, de masque à garder.

– Yume, émit Hana en se rapprochant d'elle, essoufflée par sa danse improvisée. Tout ce que tu m'as dit tout à l'heure, à propos des fleurs, de la vie, du printemps, tu le pensais réellement ?

– Oui, sinon je ne te l'aurais pas dit.

– Alors pourquoi tu restes sous ton parapluie ?

Yume laissa une moue surprise apparaître sur son visage. Hana croisa les bras, essayant de se donner un air sérieux qui n'allait pas avec son visage sillonné par des ruisseaux noirs de mascara.

– Tu me dis de faire de la vie une amie, rappela-t-elle. D'accepter les saisons, l'hiver et le printemps. Pourtant tu es la première à te cacher de la pluie. Il faut que tu écloses, toi aussi.

– Moi ? Je ne suis pas une fleur.

– Bien sûr que si, tout le monde est une fleur ! La vie, c'est éclore, s'épanouir et faner à l'infini, non ? Mais comment tu veux éclore si tu t'abrites de la pluie ? Ne me donne pas de conseils si c'est pour n'en faire qu'à ta tête de ton côté !

Hana saisit le manche du parapluie et l'abaissa de force, laissant le crâne de Yume à la merci des nuages.

– Marchons sous la pluie ensemble.

De près, Yume se rendit compte que l'averse n'avait pas été la seule à colorier de noir les yeux d'Hana. Perdues au milieu de la pluie, des larmes avaient réellement coulé le long de ses joues. Les rires s'unissaient aux sanglots. Ce n'était ni contradictoire ni paradoxal ; c'était le chaos de la vie, étrange alliage de tous les sentiments qui résonnaient dans la poitrine en cacophonie. Un bouquet qui réunissait des fleurs de jardin, des sauvages, des exotiques, des colorées, des grandes et des boutons. Un bouquet confus et superbe à la fois.

Rien n'était parfait chez Hana. Elle était troublée, agitée, anxieuse, orageuse à l'image de ses yeux aux nuages gris. La mélodie qui se dégageait de sa poitrine était inharmonieuse. Elle était un bourgeon égaré à l'intérieur d'un bouquet disparate. Ce fut pourtant ce qui poussa Yume à lui prendre la main. Ce soir-là, elle décida de suivre Hana sous le déluge.

Au printemps prochainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant