Quand sombre, il arriva en ce vaste désert,
Sur sa mule éreintée par la chaleur de l'air,
Dans ses haillons de toile abîmés par les ans,
Le vieux philosophe s'arrête en s'écriant:
"Ce monde sans lueur a-t-il donc une fin ?
J'ai marché sans cesse, guidé par le lointain
De la somptueuse Babylone vers Assur,
Foulant des plaines vertes sous un ciel d'azur.
J'ai vu tomber des hommes et des guerres éclater
Signant d'un trait rouge sur la froideur du grés
Le reflet d'une vie, pour un Dieu, désuète
Et un peuple vaincu payant sa lourde dette.
J'ai connu des régions, explosant d'abondance,
De la main de Cérès, replantant les semences.
Par tous les horizons, débordait la fortune
D'incroyables palais construits au dos des dunes.
Me voici marchant seul jusqu'aux confins du monde
Si j'avais la force, je creuserais ma tombe.
J'ai pourtant en mon cœur un ultime regret,
Un ténébreux remord qui ne veut s'en aller.
De ma vie d'errance dont je suis le seul maître,
Jamais aucun désir n'a ébranlé mon être."
Pensif, de ses yeux mornes, il contemplait l'espace
Traversé çà et là par le vol d'un rapace.
Le doux scintillement des astres et des étoiles
Surpasse mille fois nos œuvres machinales.
Parmi ceux qui luisaient, il en remarqua un
Qui, comme un grand œil blanc, semblait couvrir chacun
Des voyageurs qui avançaient sous sa clarté.
Alors le vieillard sentant tout son corps trembler,
S'exclama: "Je sais, je veux posséder la lune!"
Remontant sur sa mule, il partit vers les dunes.
Celle-ci n'avançant plus, il en descendit
Et marchait seul dans le silence de la nuit.
L'astre narquois, riait de sa décrépitude,
Il avançait toujours malgré la lassitude.
"Vieille garce, je t'aurai avant de mourir!
Je viendrai jusqu'à toi, tu ne pourras plus fuir.
Des milliers de chaînes t'encercleront
Et je crierai à Dieu qu'il n'a point eu raison
De moi. De ce brave homme qui te décrocha."
A cette véhémence, l'astre rétorqua:
"Respectable philosophe, ouvre donc les yeux,
Les hommes meurent un jour et ne sont point heureux."