Chapitre 1: l'arrivée

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Je suis dans la voiture, conduite par Emily, la fiancée de mon frère.  Il est assis à côté d'elle. Elle a une immense balafre sur la joue. Depuis le temps que je la connais, c'est à dire un mois à tout casser, je n'ai jamais osé lui en parler. Lui demander ce qui lui est arrivé...

Faire comme si de rien était. Ne pas se mêler de la vie des autres, tel est mon crédo.

L'ambiance est pesante et je suis mal à l'aise. Sam -c'est le nom de mon frère- est visiblement gêné, il ne sait pas quoi dire. Il est inquiet et ça se sent. J'imagine aisément ses pensées. Il doit se demander ce qu'il va faire de moi et pourquoi il a accepté d'accueillir en son foyer sa jeune sœur, jusqu'ici inconnue, avec des problèmes psys aussi importants. Sa question est plus que légitime et, si je me place de son point de vue, il a fait la bêtise de sa vie.

Mais bon, ça doit-être "un bon gars" comme on dit, plein de compassion et tout ça. N'empêche je me méfie. Je n'aime pas les hommes. Je sais à quoi ils pensent et j'ai vu le pire en eux.

Et puis, c'est le fils de notre folle de mère et ça, je ne dois jamais l'oublier. S'il a hérité de sa part d'ombre, je suis foutue, sans issue, bonne à mettre un terme à ma misérable vie.

Le silence dans la voiture est assourdissant, il m'étouffe. Je cherche quelque chose à dire mais je me ravise sans arrêt, les mots se perdent dans ma gorge et cette dernière commence à se nouer. Je ne suis pas loin de la crise d'angoisse. Il faut que je me calme. Une nouvelle vie va commencer pour moi. Laquelle?

Tout-à coup, j'ai froid, je frissonne, je grelotte même. Sans doute l'effet du stress, ou de la faim. Ne rien laisser paraître, contrôler son corps et serrer les dents. Voilà ce que je dois faire. Je ne les connais pas bien, je ne sais pas si je peux leur faire confiance. Alors, je me dois d'être forte et ne montrer aucun signe de faiblesse.

Plus le temps passe, plus les paysages défilent, plus la verdure envahit mon champ de vision. Tout est vert, partout. ça a le don de m'apaiser. J'aime la nature et je suis ravie de vivre dans  un endroit où elle sera omniprésente. Et la mer, la meilleure chose au monde bien entendu. Je suis éreintée mais je ne peux pas dormir. Pas encore, pas avant de savoir si je suis en sécurité. Ne rêve pas, tu ne le sera jamais. Dit une petite voix dans ma tête.

Le bruit des pneus qui crissent sur les graviers me parvient de loin, comme un écho. J'émerge alors et je me rends compte que je me suis endormie. La peur m'envahit en quelques secondes. Je suis toujours dans la voiture. Sam et Emily sont toujours aussi calme. Je suis saine et sauve. La peur cède alors place à la colère. Comment diable ai-je pu être aussi négligente? M'endormir? Vraiment? Notre mère avait raison me concernant. Je ne suis bonne à rien, à part "être une p*te". Et encore...

ça y est, la voiture est arrêtée, Sam enlève les clés du contact. Ils ont dû changer de conducteur entre temps. Emily bouge doucement sur le siège passager, baille discrètement. J'en déduis qu'elle aussi, dormait.

Une boule de stress grandit dans mon ventre, je pense que je vais vomir. Je dois me ressaisir, encore une fois. Il ne m'ont rien fait de mal... Pour l'instant rajoute la petite voix dans ma tête. Je frissonne quand Sam ouvre doucement la portière de mon côté, comme pour ne pas m'effrayer.

"Et voilà" dit-il de sa voix grave. "Tu es arrivée chez toi". Je reste stupéfaite. J'ai du mal à bouger, car dans son intonation, j'ai senti poindre une pointe d'émotion, qu'il n'a même pas cherché à dissimuler. Je ne comprends pas. Pourquoi est-il ému de m'avoir chez lui?

Il est très patient, car il m'attend dehors, le temps que je remette mes idées en place et que je trouve le courage de m'extirper de mon siège.

Il fait nuit. Des lumières s'allument dans une maison. J'en déduis que c'est Emily qui est rentrée tout allumer à l'intérieur de mon nouveau foyer. Une lumière extérieure éclaire maintenant un chemin jusqu'à la porte d'entrée. Mes émotions me submergent et je n'arrive pas à les identifier. J'avance, chancelante en direction de ma nouvelle demeure, accompagnée par mon demi-frère. Je sens son regard inquiet sur moi, malgré l'obscurité. Comme un père qui regarde un nouveau né faire ses premiers pas.

Il me devance pour accéder à la poignée de la porte. Sa grosse main s'en empare, la tourne. J'ai l'impression que la scène se déroule au ralenti. C'est si long, je veux savoir ce qui m'attend. Un grincement se fait entendre et -oh délivrance- je peux apercevoir, dans l'entrebâillement de la porte presque ouverte, le salon.



Vu et revu [Paul Lahote]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant