Vu et revu [Paul Lahote]

Chapitre 8: la plage

Je ne suis vraiment pas rassurée lorsque je me dirige avec Leah vers le portail du jardin. L'angoisse me saisi. Je suis à la Push, je suis en sécurité, personne ne me veut du mal. Je me répète cette phrase comme une sorte de mantra, tout en avalant des grandes goulées d'air frais afin de me calmer. Ça ne marche pas très bien et ma respiration est irrégulière. Leah s'arrête devant moi. "Si tu veux on peu rester traîner ici, c'est bien aussi". dit-elle la mine un peu dégoûtée. Ma première impression s'avère juste, elle n'aime pas ma maison, ou du moins, ce qu'elle représente.

Je veux être une jeune fille comme les autres, qui se promène avec ses amies. Après tout, je l'ai bien mérité. Alors, prends toi en main et bouge, un pied devant l'autre, c'est pas si compliqué. M'ordonne la voix. Je m'exécute mais c'est difficile car j'ai l'impression qu'un danger imminent va se produire. Foutu stress post traumatique.

"C'est gentil mais je préfère qu'on aille marcher" soupiré-je.

"Cache ta joie" dit-elle en levant les yeux au ciel, un petit sourire amusé au coin des lèvres.

Durant la balade, Leah respecte mon silence, et marche gracieusement à mes côtés. Je n'arrête pas de me retourner car j'ai peur que quelqu'un m'attaque par derrière, même si je sais que c'est ridicule et tout bonnement impossible. Mais Leah fait semblant de ne pas le remarquer. Allez, concentre-toi sur le paysage. Rouspète la voix. Cette fois ci encore, je lui obéis.

Il fait plutôt froid sur la côte. Leah avait raison, un manteau n'est pas de trop. Comment fait-elle pour être en débardeur? Il ne pleut pas mais le temps est très humide, une bruine fraiche me caresse le visage. Finalement, j'aime assez cette sensation et me concentre dessus afin de me calmer. Ça marche. L'odeur est très agréable aussi, un mélange d'air iodé et de forêt en automne.

En fait, c'est dans la nature que je me sens le mieux. Même si je sais que ça peut paraître fou, j'arrive à ressentir l'énergie des arbres, du vent, de la mer et des plantes. Tu te crois dans Pocahontas ou quoi? Se moque clairement la voix. Pour  la première fois depuis longtemps, j'esquisse un sourire. Oulah, ne te fais pas mal à la mâchoire non plus.

C'est donc plus détendue que je continue mon chemin avec Leah en direction de la plage. Après une demi-heure de marche, nous nous asseyons sur un morceau de bois flotté qui traîne sur le sable. Il est humide et j'ai peur que des bêtes grouillent dessous, mais visiblement ça ne perturbe pas Leah. Cette dernière sort une deuxième cigarette que nous fumons tranquillement. La vie peut-être douce ici, j'en suis certaine, même si je devrai un jour affronter le lycée. J'en frissonne d'avance.

Une sonnerie de téléphone me sort de ma rêverie. Je me dis que c'est sûrement la famille de Leah qui l'appelle pour réclamer le pot de coulis tant attendu. Elle semble un peu inquiète quand elle voit le nom de la personne qui s'affiche sur l'écran. Elle se lève soudainement d'un bon puissant et s'éloigne pour continuer la conversation. Son visage serein jusqu'alors, se ferme pour laisser place à une mine renfrognée. "Ok...ok grogne-t-elle" puis elle se met à murmurer et je crois distinguer la phrase "elle n'est pas chez toi, elle est avec moi". Mais peut-être que j'ai rêvé. Il faut dire que ma tendance à la paranoïa est un fait avéré.

Leah revient précipitamment vers moi et me dit assez froidement "je dois y aller, tu peux rentrer toute seule, tu sauras retrouver ton chemin..." Je suis un peu sous le choc de voir la façon dont elle me traite. Elle a bien perçu mon stress, elle sait que je me suis fait violence pour venir jusqu'ici. Pourtant, elle n'a aucun scrupule à me laisser seule au bout de cinq minutes passées en sa compagnie.

"Euh, Leah, tu es sûre que ça va? Ta famille est énervée à cause de ton absence ou du coulis?"m'enquis-je, un peu nerveuse.

"Ne dit pas n'importe quoi, ma famille en à rien à foutre de tout ça, tu crois que j'ai pas d'autres problèmes?" Dit-elle sèchement. Son ton se radoucit lorsqu'elle voit les larmes me monter aux yeux "Je dois y aller, désolée, vraiment désolée'".

Elle quitte mon champ de vision en un rien de temps, je suis stupéfaite de voir à quelle point elle est rapide et me dit qu'elle pratique sûrement la course de vitesse. Quant-à moi, je reste seule sur cette plage, les bras ballants, ne sachant que faire. J'étais tellement mal  à l'allée que je n'ai absolument pas mémorisé le chemin pour rentrer à la maison. Les dix premières minutes de marche, je me suis uniquement concentrée sur les pieds de Leah qui trottaient devant moi, sans lever les yeux une seule fois. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire? Je n'ai pas pris mon portable, quelle cruche!

Ça fait maintenant une heure que j'essaie de retrouver mon chemin. J'ai bien réussi à retourner à un carrefour qui me semble familier, mais je tourne en rond. Je commence à avoir vraiment faim. Il faut dire je n'ai rien mangé de la journée. Quand je repasse pour la deuxième fois devant la maison au volets bleus, je désespère.

La panique, la vraie s'empare de moi, je tombe à genoux sur le sol mouillé. Je suis totalement sidérée, en incapacité totale de bouger et j'ai l'impression que je vais mourir. La nausée me monte à la gorge et je commence à suffoquer. Les couleurs et les formes se distordent et je pense que je vais m'évanouir. Je n'arrive plus à me raisonner, à me dire qu'il faut que je me calme, j'ai peur de devenir folle.

Je suis immobile depuis longtemps maintenant, et j'ai froid.  Des larmes silencieuses coulent sur ma joue. J'entends des pas et des voix derrière moi mais je reste immobile, j'ai l'impression qu'on va me faire du mal. "Elle est là" crie une voix au loin. Je me rends compte que je suis allongée par terre, ma tête est face au sol, je tremble de tous mes membres. Deux grosses mains m'agrippent et me soulèvent. Je me retrouve collée contre ce qui me semble être le torse de quelqu'un. Ma terreur est immense, mes oreilles bourdonnent et avant de m'évanouir, je supplie "je t'en prie, ne me fais pas de mal". "Jamais" réponds la voix que j'aime tant.