Chapitre 1 : L'écrivain aimant

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Je n'avais jamais aimé la musique classique. Pour moi, elle était trop parfaite ce qui sonnait, comble du paradoxe, atrocement faux à mes oreilles. J'avais toujours recherché quelque chose d'imparfait, à l'instar de la société dans laquelle nous vivions. Une société cruelle qui rassemblait divers êtres ensembles pour vivre dans une architecture à l'allure harmonieuse et idyllique, alors que les piliers menaçaient à tout moment de s'effondrer en raison de leur instabilité et de l'imperfection des architectes eux-mêmes. Je trouvais alors cela prétentieux de se pavaner maître d'un art parfait, alors que l'artiste lui-même était imparfait.

Rien ne me faisait voyager, ni même ne me procurait des émotions dans ce genre musical des plus arrogants. Rien ne m'inspirait.

Pourtant, je n'avais pas arrêté de passer une petite partie de ma vie dans des opéras ou des concours de musique classique. Ce n'était pas de ma faute, elle adorait cela. Et, bien évidemment, j'étais prêt à tout pour la suivre et satisfaire ses moindres désirs. Mon cœur ne résistait pas à ses demandes, même si ma raison voulait toujours fuir.

J'aurais tout fait pour elle, absolument tout. Si elle m'avait demandé de sauter de la Tour Eiffel, je l'aurais fait sans hésiter. Si elle m'avait demandé de manger le piment le plus piquant du monde, je l'aurais dégusté sans broncher un seul instant. Mais c'était quelqu'un de plus sobre et elle me demandait simplement de l'accompagner dans sa folle conquête de l'écoute des plus grands prodiges de la musique. Ce qu'elle adorait par dessus tout, c'était le piano. Elle disait que le son qui émanait de cet instrument lui rappelait l'image d'une dizaine de colombes qui s'envoleraient dans des directions opposées pour répandre au quatre coins du monde ce qu'elles venaient d'entendre. Personnellement, ce son me faisait simplement penser à quelqu'un qui martelait frénétiquement les touches d'un appareil de torture qui ne voulait qu'une seule et unique chose : me faire souffrir.

Elle avait toujours été triste de n'avoir jamais su jouer du piano, même si elle ne le montrait pas. C'était un de ses plus grands rêves d'apprendre à en jouer, mais lorsque je lui en avais acheté un, il était déjà trop tard. Le temps l'avait rattrapée et n'avait pas été clément avec elle, pourtant, elle était si douce et gardait à chaque fois son sourire radieux, même dans les moments les plus compliqués.

Il fallait dire que mon métier ne me permettait pas de débourser une si grosse somme d'un coup et je refusais l'idée d'en louer un. Je voulais qu'il lui appartienne entièrement. Il m'avait alors fallu plusieurs années qui s'étaient avérées être celles de trop, si bien qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de le voir.

Le soir où je l'avais acheté et fait venir à la maison, il était déjà trop tard. Ce même soir, j'avais été appelé par l'hôpital ; elle avait été admise aux urgences. Et ce même soir, elle s'était éteinte, sans même que je ne puisse lui dire combien je l'aimais. Désormais, un instrument dont je n'aimais pas le son et qui me rappelait chaque jour son souvenir jonchait au milieu de mon salon. Pourtant, aussi bizarre que cela paraissait, c'était aussi lui qui m'avait permis de retrouver l'inspiration perdue lorsque ma muse s'était envolée pour un voyage vers d'autres cieux.

Ce jour restera gravé dans ma mémoire pour l'éternité.

C'était un soir d'hiver, quelques flocons de neige s'écrasaient au sol sans pour autant le changer de couleur. J'avais pris l'habitude de m'accouder à une fenêtre, regardant les passants s'affairer dans les rues commerciales bondées. Ils étaient tous en train de préparer Noël, cette fête que tout le monde attendait pour passer un petit moment en famille. Je détestais cette période de l'année parce que je détestais voir les autres heureux, alors que je n'arrivais même pas à aligner deux mots pour exprimer ce que je ressentais au plus profond de moi.

La Mélodie du CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant