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Au petit matin, je suis réveillé par un cri d'effroi provenant de la cuisine. Ou du moins, je fais semblant d'être réveillé à l'instant, car je le suis depuis un moment déjà, et je sais exactement ce qui vient de se passer. Je connais parfaitement la raison de ce cri d'effroi. Je me lève précipitamment, tâtonne pour allumer la lumière, à la recherche de l'interrupteur, et, une fois trouvé, enfile à la hâte un jean et un sweat-shirt. J'ai juste le temps de lire l'heure sur le réveil posé sur la table de chevet. 6H17. Je m'ébouriffe les cheveux et me frotte les yeux. Il faut que j'aie l'air fatigué, qu'on croie que je viens juste de tomber du lit. Une tête de déterré, comme dirait mon père. Il faut que cela ait l'air naturel, comme si ce n'était pas encore un des nombreux éléments de la mise en scène, déjà planifié à l'avance. En même temps, c'est pas trop compliqué, vu la dose de somnifères que j'ai prise juste avant de dormir pour être sûr d'être d'attaque ce matin... Trajet direct pour le pays des rêves – heureusement, le billet de retour était compris...

J'ouvre la porte à la volée et sors dans le couloir, me replongeant rapidement dans mon rôle et dans tout ce que je vais devoir dire et faire dans quelques instants.

Une fois dans le couloir, je me précipite dans la cuisine, feignant la peur et l'incompréhension, bien que je m'attende déjà à ce que je vais y trouver. Avant d'y entrer, j'ai le temps d'apercevoir les baies vitrées du salon entièrement recouvertes de neige, à présent complètement opaques. La tempête est arrivée avec de l'avance. Mauvaise nouvelle.

Quand j'arrive sur le lieu du crime, tout est tel qu'il devrait l'être. Mise en scène réalisée à la perfection, dans les moindres détails, si bien que tout est parfaitement crédible. Je ne voudrais pas paraître prétentieux mais je pense que même dans une obscurité quasi-totale, j'ai fait du bon boulot. J'en suis assez fier, même...

Le cadavre d'Elizabeth repose au centre de la pièce, allongé sur le dos et habillé d'une robe noire déchirée en plusieurs endroits. Atrocement mutilé, coupé en deux au niveau du bassin. La robe avec, comme si la coupure était nette, comme réalisée au laser. Mais il n'en est rien : la peau au niveau du bassin est affreusement saccagée, et j'arrive à distinguer les traces des bords dentelés de l'arme du crime.

Partout autour, du sang. Une profusion écarlate, qui s'est emparé d'une grande partie du sol de la pièce. Le carrelage juste en-dessous du corps est maculé de giclées brunâtres maintenant qu'elles ont commencé à sécher. Elle doit être complètement vidée de tout son sang : au vu de la quantité qu'il y a au sol, je pense que les cinq à six litres que son corps contenait y sont passés.

Non loin de là, une scie. L'arme du crime. Propre, net et plutôt efficace, bien qu'éprouvant au moment de la découpe – je n'aurais jamais pensé qu'un mannequin comme celui-là était aussi solide. A côté de la scie, une hache. Bizarre, je n'ai pas le souvenir d'en avoir placée une, et encore moins à cet endroit là. Sûrement les somnifères, j'ai dû oublier quelques détails de ce que j'ai fait pendant la nuit...

Je feins le dégoût, bien que je sache que tout ceci est faux, que ce n'est que de la poudre aux yeux, pour les impressionner. Évidemment, il n'est rien arrivé à la vraie Elizabeth. A l'heure qu'il est, elle doit encore être tranquillement en train de dormir au sous-sol – que je me suis bien garder de faire visiter à mes invités hier, évidemment –, à l'abri de la pagaille qui s'annonce.

Je balaye une nouvelle fois la scène du regard. C'est incroyable cette précision. Je ne m'en pensais pas capable. Surtout que j'ai dû tout faire presque entièrement dans le noir, pour ne pas attirer l'attention, et que je ne voyais pas très bien ce que j'étais en train de faire – juste des contours, des formes, délimitées par d'imperceptibles différences de noirceur entre les ombres.

Tout à l'air vrai.

Trop vrai, beaucoup trop vrai.

Je commence à douter. Douter sur ce qui se trouve face à moi. Quelques éléments ne collent pas : certains indices, certains objets que je suis sûr de ne pas avoir déposés comme ça. Et soudain je comprends : ce que j'ai sous les yeux n'a rien de la mise en scène que j'ai installée hier. Non, c'est une vraie scène de crime, un vrai meurtre, qui a remplacé ce que j'avais mis en place pour faire illusion. Le cauchemar est devenu réalité.

Je n'ai pas réagi quand j'ai lu l'heure en me réveillant : 6h17. Mais j'aurais dû. J'aurais dû comprendre. Je ne devais ouvrir les portes qu'à sept heures. Quelqu'un est donc sorti avant, et c'est cette même personne qui a ouvert toutes les portes – allez savoir comment... – pour brouiller les pistes. Étant donné que j'ai terminé la mise en place vers deux heures du matin, ça laisse au tueur environ quatre heures pour agir. Bien assez de temps pour faire disparaître le mannequin à l'effigie d'Elizabeth qui devait simuler sa mort, et le remplacer par le corps. Cette fois, la vraie Elizabeth.

Une véritable scène de crime. Un vrai meurtre. Ça paraît fou, dit comme ça, mais je dois bien admettre que ce ne peut-être que la vérité. Pas une mise en scène bourrée d'artifices bidons mais efficaces, non. Ceci n'a rien de jeu.

Quelqu'un a tué Elizabeth.

Black DahliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant