A peine ai-je le temps de me préparer à les informer de leur départ du chalet, isolé dans ma chambre, que je suis interrompu par des cris venant de la salle à manger.
Les jumeaux, Romain et Alex, sont debout sur le palier, juste au-dessus de nos têtes. Le visage sombre. L'air grave. Je n'ai pas entendu le début de la conversation, mais apparemment il s'agit de quelque chose d'important. Avant que je puisse réfléchir à ce qui ce bien pu se dire, mon attention est attirée par ce qui se passe à l'étage. Je ne peux pas décrocher mon regard de ce qui se passe sous mes yeux.
Les deux frères passent tous les deux simultanément une jambe par dessus la rambarde, puis l'autre, sous le regard circonspect du reste du groupe, quelques trois mètres plus bas. Dos à la balustrade, à moitié dans le vide, ils se tiennent d'une main pour éviter de tomber, et de l'autre, sortent chacun un couteau de leur poche, et le positionnent au niveau de leur gorge, tranchant côté peau.
Ils sont sur le point de faire quelque chose de grave, et le pire c'est que je crois qu'ils en ont parfaitement conscience. Est-ce le fait d'avoir fait leurs aveux un peu plus tôt qui les a mis dans cet état-là ? Le remords, la culpabilité qui les rongent ? Je ne sais pas, mais ce n'est pas le moment de réfléchir à tout ça. Il y a urgence. Ils vont faire une connerie...
Sans les quitter du regard, je m'élance vers l'escalier. J'ai à peine le temps de faire trois pas que je me fige sur place alors qu'une voix s'élève face à moi.
— Ne bouge pas. Sinon on saute.
Romain. Je me fige sur place. Ne le quitte pas des yeux. Lève les mains en signe de reddition et fais quelques pas en arrière, lentement. Il faut trouver une solution, vite. Sinon ils vont foutre en l'air tout le travail que j'avais entrepris. Et leur vie aussi, accessoirement...
Romain enchaîne, parlant aussi pour son frère, incapable de prononcer le moindre mot tant l'émotion est forte. Ses paroles sont empreintes d'une telle gravité que personne n'oserait ne serait-ce que songer à ne pas écouter ce qu'il va dire jusqu'au bout, et encore moins à l'interrompre.
— Je ne peux pas continuer à vivre avec ça. Il faut que j'en parle, que je vous le dise. Que je vous dise tout sans exception. Ce qu'on a fait... Depuis ce moment là, quand notre vie a basculé, impossible de penser à autre chose. Je la revois sans cesse en train de nous supplier d'arrêter, mais on ne pouvait pas. A la fin, c'est à peine si je l'entendais. Plus rien ne semblait avoir d'importance à part l'horreur de ce qu'on venait de faire, et surtout ce qui allait nous arriver, après ça.
Autour de moi, je peux lire la surprise sur les visages. Personne ne s'attendait à ça, évidemment, il se croient tous coupables, mais n'arrivent pas à envisager que quelqu'un d'autre puisse l'être aussi.
Ce qu'il dit pourrait paraître complètement incompréhensible à quelqu'un d'extérieur, mais parmi nous il n'y a personne qui n'ait pas compris de quoi il parle. Ou cru comprendre, car je suis le seul à pouvoir mesurer l'exacte portée de ces mots.
Je tente de le raisonner – de les raisonner –, même si je sais qu'il est déjà trop tard.
— Attends, Romain, il y a forcément une autre solution. Vous...
— Non, c'est fini, me coupe-t-il. J'en ai marre de fuir. Marre de me cacher, de repousser la vérité faute de pouvoir l'accepter. Il faut que ça cesse. On doit payer pour ce qu'on a fait...
Sans attendre plus longtemps, chacun positionne son couteau au niveau de la gorge de l'autre, bien décidé à en finir. Unis. A la vie comme à la mort. A jamais. Si la scène n'était pas aussi grave, je trouverais presque ça beau.
Avant qu'aucun de nous n'ait pu faire quoi que ce soit, tenter un ultime geste désespéré, vain, pour essayer de les sauver, ils se tranchent la gorge et basculent dans le vide en une effusion de sang jaillissant puissamment de tous les côtés. Leurs corps s'écrasent presque au même moment sur le sol avec un bruit sourd, un étage plus bas, alors que des cris d'horreur s'élèvent déjà partout autour. Tous restent bouche-bée face à la violence des instants passés. Tous sauf moi. Je pense évidemment à ce suicide auquel je ne peux rester insensible, comme tout le monde autour de moi, mais aussi et surtout à ce qui va m'arriver après, quand il faudra quitter cet endroit.
D'un seul cadavre – ce qui est déjà beaucoup –, on vient de passer à trois. Ce n'était pas prévu ; pas du tout, même. Et il va falloir que je rende des comptes. Que j'explique ce qui s'est passé. A leurs proches, leurs familles. Et aux autorités...
Bonjour les emmerdes...
VOUS LISEZ
Black Dahlia
Mystery / ThrillerHiver. Dans un chalet perdu au milieu des montagnes, accessible seulement en hélicoptère. L'endroit rêvé pour organiser une murder party. Je ne me suis pas gêné. Pour ce week-end d'inauguration de la firme "Black Dahlia", spécialisée dans les murder...