C'est moi qui l'ai tuée. Moi et personne d'autre.
J'ai tué Elizabeth. Ils sont tous innocents – dans cette histoire-là, en tout cas...
Avant que je ne rentre dans les détails de mon plan, de ce qui s'est réellement passé, il y a une chose que tu dois savoir : toutes les personnes présentes dans le chalet la nuit du meurtre sont des meurtriers. Ils ont tous tué quelqu'un au moins une fois. Que ce soit seul ou à plusieurs, sous le coup de la colère, en tant que vengeance ou bien par accident, chacun d'entre eux à déjà arraché la vie à quelqu'un au moins une fois. Mais leurs points communs ne s'arrêtent pas là. Tous regrettent leur actes, leur crime, ce qu'ils ont fait. Ils vivent avec le poids du remords en tête, le regret les accable à chaque instant, sans répit. Il ne supportent pas ce qu'ils ont fait, ne se supportent plus eux-mêmes, haïssent ce qu'ils sont devenus.
J'ai eu l'occasion de m'en rendre compte au cours des nombreuses séances pendant les lesquelles j'en ai parlé avec eux. Sauf que je ne suis pas un psy comme les autres – je ne vous en avais pas parlé, de mon métier ? eh bien maintenant vous le savez... Alors que tous – ou presque – cherchent à guérir leurs patients, à les aider, moi je ne veux qu'une seule chose : les faire sombrer. Les conforter dans leur idée qu'ils sont des monstres, qu'ils ne méritent pas de vivre après ce qu'ils ont fait. Les détruire à jamais. C'est ça, et uniquement ça, qui me procure ce sentiment de toute puissance dont je ne peux plus me passer depuis que je l'ai expérimenté pour la première fois, quelques années plus tôt.
Depuis que ma mère à été tuée par l'une de ces ordures – un tueur de passage, qu'elle ne connaissait pas et qui ne la connaissait pas non plus, qui l'a tuée sans raison, juste parce que l'idée de le faire lui est passée par la tête, et qu'il a cédé –, j'éprouve envers eux une haine croissante. Une haine qui dépasse l'entendement. Si forte qu'elle en serait presque bestiale. Une colère noire qui gronde en moi, et ne demande qu'à être libérée, sans retenue, en puissance, dévastatrice... Un volcan qui gronde dans mon esprit, et n'attend que l'explosion. Je pensais ne jamais pouvoir les comprendre, ne jamais intégrer le fait qu'il n'y a pas que la lâcheté qui entre en jeu quand une personne refuse de voir la vérité, de se dire qu'elle est coupable d'un crime. Jusqu'à hier soir, à cette nuit où j'ai décidé d'aller plus loin que prévu. Trop loin.
Au début, ce n'était pas prévu. Mais j'ai tué Elizabeth. Je ne sais toujours pas ce qui m'a pris, ce qui m'est passé par la tête... Le pire, c'est que j'ai pris du plaisir à le faire, ce que je croyais impossible avant de l'expérimenter. Pas sur le coup, non – à ce moment là, j'étais encore sous le choc – mais après. Juste avant d'aller me coucher précisément. En prenant mes somnifères. C'est à cet instant-là que le plaisir à pris le pas sur l'horreur. Un plaisir intense, comme je n'en avais encore jamais éprouvé.
Je dois te paraître fou, un grand malade. Disons plutôt que je suis différent. Que je ne vois pas les choses de la même façon que toi. Tu penses peut-être que le monde n'est pas si cruel, qu'il s'agit juste d'un endroit idyllique gouverné par des personnes bien intentionnées, ou tout le monde est bon, d'une gentillesse innée. Mais je vais te dire une chose : ce sont les plus forts, les menteurs, égoïstes, individualistes, qui gouvernent le monde et ont le pouvoir sur les plus faibles, même si ces derniers sont largement majoritaires. Voilà ce que je pense. Voilà la réalité. Il faut choisir son camp. Dominant ou dominé ? Personnellement, j'ai déjà choisi. A toi d'en faire autant.
Bref, je m'égare, ce n'est pas le sujet.
Mon plan peut paraître simple au premier abord, mais sache qu'il ne l'est pas tant que ça. Il m'a tout de même fallu prendre de nombreuses précautions avant de passer à l'acte, pour éviter les imprévus, le moindre petit grain de sable qui pourrait venir enrayer la mécanique infernale que je m'apprêtais à mettre en marche. La première d'entre toutes, sûrement la plus importante, était de neutraliser pour la nuit entière chacun des invités. Rien de plus facile : il m'a suffi de verser une bonne dose de somnifères dans le café, thé ou chocolat chaud qu'ils ont bu juste avant de dormir pour les plonger dans un sommeil profond, duquel ils ne pourraient en aucun cas être sortis par un quelconque bruit que j'aurais pu faire malgré moi pendant le meurtre d'Elizabeth.
Deuxième précaution, au cas où la première n'aurait pas suffi, la tuer à l'écart du groupe. Pas à l'extérieur – hors de question avec un froid pareil –, mais dans la buanderie, au rez-de-chaussée – celle qui est bien cachée et accessible seulement depuis notre chambre (allez savoir pourquoi, d'ailleurs – sûrement un délire d'architecte...), et dont personne n'avait connaissance à part Elizabeth et moi. Là où personne ne penserait à venir me chercher. Il m'a suffi de la suspendre à la corde à linge qui courait d'un bout à l'autre de la pièce pour pouvoir manœuvrer plus facilement, et de mettre un seau juste en-dessous du corps pendant la découpe pour récupérer le sang qui en sortirait. La plus grande quantité possible. Je n'ai eu qu'à reverser plus tard ce sang dans la cuisine, précisément où le corps à été trouvé pour leur faire croire que le meurtre a été commis sur place. Il ne me restait plus qu'à apporter la touche finale à mon chef-d'œuvre : la broche en forme de dahlia noir. Ce que j'appelle maintenant mon grand-œuvre, l'œuvre de ma vie, venait d'être achevé.
Je suis devenu un artiste.
Tu crois que je m'en suis tenu là ? Non, certainement pas, j'étais tellement sur ma lancée que j'ai poussé encore plus la complexité de la chose. J'ai été encore plus loin que tu ne le crois. Le passionné de mise en scène et de symbolique que je suis n'a pas pu s'empêcher de donner à tout ça. A tous mes choix. L'affaire du Dahlia Noir, tu connais ? Une actrice du nom d'Elizabeth Short, dont le corps a été retrouvé mutilé et coupé en deux au niveau du bassin, vidé de son sang, ça ne te rappelle rien ? Et le pire, c'est que dans cette affaire on ne peut plus réelle aussi, vieille d'environ soixante-dix ans, des dizaines de personnes se sont dénoncées comme coupables du meurtre, alors qu'aucune d'elles n'était le vrai meurtrier. Exactement comme cela s'est déroulé pour le meurtre d'Elizabeth, même si c'était à bien plus petite échelle.
Tu vois, je n'ai rien laissé au hasard. J'ai travaillé chaque aspect de mon plan. Je l'ai considéré sous tous les angles possibles et imaginables. Je l'ai détaillé comme un orfèvre aurait pu le faire avec l'une de ses œuvres.
Un vrai chef-d'œuvre, pas vrai ? C'est bien pour ça que j'ai bien l'intention d'en faire profiter un maximum de personnes. J'ai dissimulé des caméras partout dans la maison – qui, au passage, m'ont coûté une fortune, mais je n'avais pas le choix – pour ne pas perdre une miette de toutes les actions de mes invités, de toutes leurs paroles. Et surtout de leurs aveux. Je n'ai plus maintenant qu'à rassembler tous ces extraits vidéo pour en faire un film, en ne gardant que les extraits prouvant leur culpabilité, et à le diffuser en masse pour que tout le monde sache. Pour que tout le monde haïsse ces tueurs autant que je les ai haïs. Ils vont devoir payer. Le prix fort. Tout le monde va les détester. Ils ne méritent que ça, de toute façon...
J'assume mes actes. J'en suis fier, je ne les regrette pas.
Tu te demandes sûrement comment j'ai fait pour te cacher la vérité. C'est simple : il m'a suffi de ne te raconter que ce qui ne pouvait en aucun cas me compromettre, et de changer quelques éléments qui auraient pu te mettre sur la piste de la vérité. Tout ce temps, tu étais face à une réalité tronquée, déformée, arrangée selon mes besoins, mes projets. Oui, j'ai menti. Un peu. Mais tous les faits sont vrais, seules mes émotions sont fausses. Oui, j'ai omis des détails. Beaucoup. Surtout quand la situation le nécessitait, que je n'avais pas le choix. Et je compte bien garder ces détails secrets, même si tu cherches peut-être encore des réponses, que l'enquête comporte encore pour toi plusieurs zones d'ombre. Mais en relisant attentivement ces pages, tu découvriras peut-être des choses qui t'avaient échappé, des indices, qui sait ?
Le travail est terminé. J'ai mené mon plan à exécution, obtenu ce que je voulais : ils ont avoué, et maintenant ils vont payer pour ce qu'ils ont fait. Je les ai détruits, eux et leur vie, et je crois qu'au final c'est ça qui me procure le plus grand plaisir.
Il ne me reste plus qu'à disparaître, refaire ma vie sous un autre nom, changer d'identité. Et pourquoi pas recommencer, s'il me vient un jour l'envie d'éprouver cette sensation de toute puissance que je n'ai connue que dans les heures passés.
Bientôt, tout le monde saura...
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Black Dahlia
Mystery / ThrillerHiver. Dans un chalet perdu au milieu des montagnes, accessible seulement en hélicoptère. L'endroit rêvé pour organiser une murder party. Je ne me suis pas gêné. Pour ce week-end d'inauguration de la firme "Black Dahlia", spécialisée dans les murder...