Dans quelques heures j'aurai 18 ans

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Dahlia.

Mes cheveux ébènes s'emmêlent aux branches biscornues des arbres de cette immense forêt. Je cherche désespérément la lune du regard afin de me frayer un chemin parmi toutes ces branches qui se dressent devant moi ; qu'elle idée de venir seule, un soir d'octobre en pleine nuit dans la forêt de Lockwood. Mais rien ne peut marrêter, la fougue qui grandit en moi s'agite au plus profond de mon âme. Me voilà seule, au beau milieu de cette obscure nature.

Dans quelques heures j'aurais dix-huit ans. Les larmes me viennent et je ne peux les refoulées; cela fera dix-huit années que je cache ce secret qui me consume et m'effraie. A quoi ressemblera ma vie dorénavant ? Je cours, jusqu'à ne plus rien ressentir. Je cours pour m'échapper de cette prison dorée, de cette vie qui mest destinée. Je cours, je hurle à pleins poumons. En réalité, c'est moi-même que je veux semer. Ma robe blanche est déchirée, elle se mêle à la terre.

J'entends déjà les remontrances que je vais devoir supporter demain ; « mais bon sang, Dahlia ! où étais-tu ? Pourquoi ta robe est dans cet état ? Que diront les gens ? ». Mais je n'en ai que faire.

J'aperçois enfin cette maudite lune, celle qui est à l'origine de tous mes tourments. Malgré tout, je suis soulagée : elle n'est pas encore pleine. J'arrive au bord du lac, paisible et silencieux. Au loin se dresse le château qui me retient prisonnière ; mes larmes ruissèlent de plus en plus sur mes joues. Ce soir, je ne les retiens plus. Je m'avance vers le lac, et l'eau au contact de ma peau me fait frissonner.  Elle est gelée, mais jaime ça ; l'eau me rappelle à quel point je suis encore vivante. Jy plonge, et ma robe flotte à la surface. La douce brume nocturne défait les lacets de mon corset qui mopprime ; ce soir, je ne suis plus cette duchesse parfaite que je nai jamais voulu être. Je suis moi, simplement moi et cela me suffit. Je plonge ma tête, et pendant une fraction de seconde je ne respire plus. J'ouvre les yeux dans leau ; le monde autour de moi est en apnée. Je profite une dernière fois de cette douce sensation, de mon corps qui se mêle aux murmures de l'eau. J'aimerai y rester pour l'éternité. L'eau parvient toujours à me calmer, même si les vagues qui se déchainent dans mon cur , elles, ne sont jamais paisibles. J'aime cette sensation, lorsque j'ouvre ma main et que l'eau, ce voile bleuté caresse mes doigts.

Je remonte à la surface, la réalité mappelle. Je cherche la lune qui éclaire le lac dans cette obscurité profonde ; j'aime ce paysage. La tristesse me gagne, la peur aussi : il est l'heure, je dois sortir de l'eau.

Mes cheveux me collent à la peau, et le froid me fait frissonner de plus belle. La lune est pleine. Je suis terrifiée, je me hisse derrière un rocher. Même s'il n'y a personne, on ne sait jamais.

La bestialité qui est en moi se réveille, je ne peux la contenir plus longtemps. Je sens mon corps s'enflammer, je tremble de la tête aux pieds. Mon coeur est un tourbillons de ténèbres, de néant et de flammes.

La lune plane au-dessus de moi, je ne suis plus la même. Ma robe blanche a laissé place au pelage blanc qui recouvre la totalité de mon corps. Je n'ai plus froid. Je n'ai plus peur. Je suis ici, au bord de cette falaise d'où je contemple le lac dans lequel je me suis baignée. Cette nuit, je pousse mon plus profond hurlement. J'entends les feuilles danser au rythme du vent. Ce soir, j'ai la ville à mes pieds.

A présent, j'ai dix-huit ans. Je suis Dahlia, la jeune duchesse rebelle du château de Moonwall. Je suis cette jeune femme, au destin saccagé par un terrible secret.

Je suis Dahlia, louve à mes heures perdues ; lorsque la pleine lune éclaire le vaste ciel nocturne, je me transforme en loup. Personne ne dois le savoir, sinon je serai brulée dans ce monde de barbares.

La nuit est à son comble ; j'arpente la forêt. Même si cela meffraie, je suis enfin moi-même. J'ai pris mon dernier bain de minuit, et je ne connaîtrai plus jamais cette sensation. Mon pelage est bien trop fragile ; si je retourne dans le lac de Lockwood, je mourrai.

Ils pensent me connaître, mais ils ne savent rien de moi.

L'océan qui nous sépareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant