Respectant les paroles qu'il avait prononcé envers le vieillard, Andreas remit à son capitaine sa lettre de démission, et on le laissa partir sans trop de souci ni de regret. Il aurait peut-être dû être miné d'apprendre que personne ne voulait vraiment de lui à bord, notre Andreas ; mais, rempli de cette détermination nouvelle, et les pensées n'étant plus que tournées vers les mines de Falun, il ne s'en offusqua pas, et se sépara même de toutes les personnes qu'il avait côtoyé auparavant avec dans ses pas quelque chose de bondissant.
Andreas n'avait dans sa besace que quelques pièces, des haillons qui pourraient faire office de vêtements si la situation le nécessitait, mais surtout beaucoup de détermination. Jamais en mer n'avait-il montré autant d'entrain. Un de ses précédents camarades, si il avait pu le voir bondissant, se serait demandé si il s'agissait bien du même Andreas.
À vrai dire, Andreas lui-même ne savait pas si il était vraiment la même personne qu'auparavant. Le jour d'avant, alors qu'ils avaient jeté l'ancre au port, il n'avait ressenti que le poids du monde sur ses épaules ; quand il avait lu la lettre annonçant la mort de sa mère, alors que le chagrin s'abattait sur lui, sa silhouette gracile, en même temps, s'était allégée. Le poids qu'il avait porté toute sa vie durant avait disparu. Son chagrin, était-il dû à la mort de la seule famille qu'il lui restait, ou bien l'optique soudaine d'être libre et de ne pas savoir quoi en faire ?
Mais peu importe ; car, le vieillard l'ayant guidé en paroles, il ne lui restait plus qu'à se laisser porter à de nouvelles aventures, celles-ci non pas dictées par le devoir mais par l'envie. L'argent promit par le vieil homme, il ne fallait pas se mentir, était une raison ; mais aussi celle d'enfin quitter la mer, pour ne plus jamais la voir, si une telle chose était possible.
Le chemin à suivre était, somme toute, très simple. Il n'avait qu'à suivre la route pour parvenir jusqu'à Falun ; cette ville était connue pour ses exploitations minières. La population entière y travaillait. On vivait de la mine jusqu'à passer la main à ses enfants, qui eux la passait à leurs petits-enfants, et ainsi de suite. C'était une boucle perpétuelle. Ayant regardé True Detective récemment, je me permettrais même de citer un personnage : time is a flat circle. Tout ce qui se produisait était condamné à se répéter. C'était comme si le temps n'agissait qu'en boucle sur ces personnes qui n'avaient connus que Falun, et qui ne connaîtraient jamais autre chose.
Le travail de la terre, on le sait, est ingrat ; ainsi, si la promesse de richesse attirait, l'idée d'un métier dangereux rebutait tout autant.
Andreas avait vécu la majorité de sa vie sur un bateau, ayant à chaque tempête la sainte peur de mourir, et son corps dévoré par les mystères de la mer profonde, autrement appelé requins. Le dur labeur ne lui était pas inconnu ; c'était la peur de ne jamais être retrouvé qui, hier, avait guidé ses paroles. N'y-a-t-il pas de peur plus humaine ? On souhaitait mourir en étant connu, notre nom murmuré parmi nos proches dans un sanglot partagé, et notre cadavre retournant à la terre, où il pouvait accomplir la noble tâche de servir d'engrais à des vers de terre. Mourir anonyme, ou notre enveloppe corporelle à jamais oubliée dans un souterrain sombre, se décomposant lentement ; rien ne faisait plus frissonner Andreas Olsson que de décéder comme son père : privé d'un véritable enterrement. Et voilà qu'aujourd'hui, ses pas le guidaient vers Falun ! La mine ! Plus d'une fois, il se demanda ce qui le poussait donc à continuer son chemin. Si on lui demandait, ce n'était certainement pas ses chaussures, dont la semelle usée ne lui servait guère de protection contre les cailloux de la route. Non ; c'était la volonté du vieillard. Il lui avait insufflé, par de simples paroles, une telle conviction, qu'on aurait cru celle du diable. Seul Lucifer était aussi déterminé à mettre Dieu à genoux ; Andreas n'avait pas encore de cible si ce n'est la mine, mais qu'on ne se leurre pas : il en était d'autant plus dangereux.
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Les mines de Falun
МистикаAndreas Olsson est un marin, jusqu'au jour où il ne l'est plus. En quête de richesse, c'est sur les conseils d'un énigmatique vieillard qu'il se dirigera vers Falun, ville minière de Suède. Une ville aux nombreux mystères, et où la ruine n'est jamai...