Chapitre 5

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Sentant sans doute sa bien moins bonne humeur, ses nouveaux collègues ne tentèrent pas de faire la conversation à Andreas. Les plus anciens murmuraient déjà entre eux que c'était là le premier signe qu'il partirait bientôt : passée la première descente, la réalité revenait frapper l'inconscient de son immense batte, et ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne se dégonfle et ne plie bagage. Ce ne serait pas le premier, et ce serait loin d'être le dernier : la mine n'était tout simplement pas faite pour tout le monde.

Elias Ordenf, dont ces premiers murmures avaient déjà atteints les oreilles, observa plus attentivement le jeune avant qu'il n'entame sa descente dans la mine. Assurément, il y avait quelque chose de sombre l'entourant, mais quand à savoir si c'était les prémices de son départ, il n'aurait pas pu le déduire. Il résolut d'en parler à Ursa ; elle saurait en apprendre plus de la bouche du premier concerné, voir même le rassurer ; car Elias voyait en Andreas du potentiel, et il aurait été bien chagriné de voir s'en aller celui qu'il commençait déjà à voir comme un fils.

Il faut savoir qu'Andreas ne considérait pas le départ comme une solution : tout d'abord, parce qu'il faudrait plus d'un rêve pour l'épouvanter, quoique dire qu'il y avait été indifférent était un mensonge qu'il ne se risquerait pas à prononcer à voix haute. Mais voilà, il n'accordait pas à des songes des significations divines ; il était homme de science, d'une certaine manière. Cette certaine manière est somme toute assez relative, mais tant qu'il ne croyait pas en Dieu, alors il estimait pouvoir croire en n'importe quoi d'autre. Croire que le vieillard du rêve n'était que le produit d'une imagination un peu influencée par les récents évènements de sa vie, eh bien, ce n'était pas si absurde. Et tant pis pour le reste : il était à Falun, et il y resterait. Car la deuxième chose qu'il fallait considérer était que Andreas n'avait nul part d'autre où aller. Partir de Falun, pour aller où ? Redemander du travail au port de Klippa, tout là-bas à Goethabourg ? Voilà bien un effort qui lui demanderait plus qu'une force physique : il n'avait tout simplement pas celle mentale de s'exposer à la mer et aux éléments déchaînés, là où il se sentirait enfermé à l'air libre. Un oiseau qui ne pouvait voler : voilà ce qu'il était sur ces bicoques de bois flottantes. Non, non ; Falun était bien mieux, et si la mine aujourd'hui ne l'attirait point, ce n'était pas le cas de la petite ville, et plus précisément d'une de ses habitantes.

Inutile de se le cacher plus longtemps ; et bien que votre humble serviteur ici présent ne déteste ce cliché, il est bien obligé de l'ajouter dans cette histoire : Andreas était complètement sous le charme d'Ursa. Il n'allait pas le lui montrer directement, bien sûr. Quelle idée ! De charmer la fille de celui qui vous offrait un toit, un repas et un lit. Non, non, il était bien plus poli que ça ; il saurait s'accommoder de cette attirance secrète qu'il éprouvait envers la fille Ordenf.

Il s'en accommoderait, mais il serait bien en peine de pouvoir résister aux souhaits de son coeur : et si la mine le révulsait aujourd'hui, son amour soudain le retenait à Falun, et tant pis si il fallait pour cela affronter la colère de la terre !

Ce que l'on est sot, quand on est amoureux.

Ils revinrent le soir, toujours épuisés de leur labeur, et Ursa se chargea seule du bain d'Andreas. La nouvelle recrue, par souci de pudeur, prenait les siens seuls, attendant qu'elle ne quitte la pièce pour se déshabiller entièrement avant de se détendre dans l'eau. De même, il avait réclamé, quoiqu'avec gêne, qu'elle ne le prévienne avant de rentrer dans la salle où se trouvait l'énorme bassin en bois. Ursa se pliait à de telles exigences ; et entre le temps où les multiples seaux d'eau chauffaient au-dessus du feu, et celui où Andreas se glissait dans son bain, il y avait bien quelques minutes où elle pouvait parler.

« J'ai ouïe dire que la journée vous a été plus difficile ? », interrogea-t-elle avec une voix qu'elle n'espérait ni trop inquisitrice, ni trop accusatrice.

Andreas, assit sur un tabouret, les mains serrées posées sur ses cuisses, sembla se ratatiner.

« Hélas, murmura-t-il, je n'ai aucune idée de pourquoi... Pourquoi la mine s'est refusée à moi aujourd'hui. »

Il en parlait tout le temps comme d'une vieille amie nouvellement retrouvée, mais dont la présence capricieuse lui faisait autant de mal que de bien. Si la détermination était une bonne chose, cette obsession étrange pour les minerais cachés de Falun rendait parfois Ursa un peu mal à l'aise. Même Andreas semblait reconnaître que ce n'était pas sain. Et pourtant, il s'accrochait. Pourquoi ?

« Ce n'est que votre deuxième jour.

- Mais le premier avait été propice à tant de joyeusetés ! Alors me les voir ôtées de mes doigts méritants... »

Andreas souffla, infiniment frustré. Il parlait, il parlait ; et pourtant, il semblait presque coupable. Envers lui-même, pour s'autoriser une telle faiblesse ?

« Ce n'est que votre deuxième jour, répéta Ursa avec certitude. Certainement pas le dernier, également. Tout bon mineur est en proie aux doutes, à la peur. Vous n'êtes pas si différent, Andreas Olsson. »

Ce dernier se frotta le plexus, le premier vrai geste qu'il effectua depuis qu'il était rentré dans la salle d'eau.

« Des fois, c'est ce que je voudrais, murmura-t-il. Être comme les autres. »

Ursa se leva, se saisit du seau d'eau. Cette dernière commençait à frémir par-dessus les braises. Il fallait procéder avec prudence si on voulait ne pas s'ébouillanter. Dans le cas contraire, la douleur était atroce, et on en gardait souvent des séquelles à vie, en plus de marques terribles faisant frissonner d'une douleur fantôme quiconque avait le malheur de poser ses yeux sur la peau cicatrisée.

Mais prudente, Ursa l'était ; et elle réussit à verser l'eau dans la bassine sans aide, avant de poser une main sur sa taille, satisfaite d'elle-même.

« Au bain, monsieur Olsson ! », annonça-t-elle avec une autorité joyeuse. La nuit porte conseil, après tout. »

Et comme il avait toujours l'air misérable, avec ses joues pleine de poussière de charbon, elle ajouta :

« Et si ce n'est pas le cas, et que la mine n'est pas faite pour vous, eh bien, il y a toujours de la place à Falun. »

Il releva la tête si vite que c'en fut presque surnaturel.

Elle s'enfuit si rapidement qu'on aurait cru le diable à ses trousses. Elias Ordenf, de retour de chez l'un de ses amis, confondit la rougeur sur ses joues par celle de la vapeur d'eau.

Ce texte prenait des allures de conte de fée ; dès lors, il me semble bon de vous rappeler qu'il lui faut une méchante sorcière.

Dans notre cas, nous en aurons deux. Voir même trois. Car la nature humaine est ennemie de tous, même des plus forts d'entre nous ; et j'aime écrire les conflits. C'est ce qui rend le récit intéressant. C'est ce qui rend le récit passionnant. C'est ce qui rend ce texte lisible.

Et je vous offre, lecteurs, la suite.

Les mines de FalunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant