Prologue

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Deux silhouettes se détachaient dans l'ombre de la nuit. Elles se déplaçaient rapidement sous l'éclairage grésillant des lampadaires. Le bruit de leurs chaussures dans les flaques d'eau résonnait dans la rue vide. Il s'agissait d'un homme et d'une femme, aux visages soucieux et tristes, au pas tremblant mais décidé. Ou bien contraint. Des pleurs s'élevaient parfois des bras de la femme. Un enfant y était emmailloté dans une couverture de laine. Sa mère fredonnait une berceuse pour le calmer et caressait tendrement ses joues rebondis. Ses cheveux blonds venaient de temps en temps chatouiller le nez du bambin.

Nerveux, l'homme observait les alentours avec crainte. Soudain il s'arrêta et déclara « on est arrivé ». La femme leva la tête vers la maison qui se présentait devant elle. Une assez grande demeure aux allures de manoir dont les fenêtres du rez-de-chaussée laissaient échapper une légère lumière. Ils étaient attendus. L'homme attira la jeune mère contre lui et passa son bras autour de sa taille. Ils restèrent plusieurs longues minutes immobiles, pour retarder ce moment qu'ils redoutaient tant.

- Elisabeth, on peut encore changer d'avis.

Suggéra l'homme. Cependant il savait très bien qu'il n'en était pas question, qu'adviendrait-il de leur fils si la vérité était révélée ? Il était bien plus en sécurité ici. La femme fit non de la tête alors qu'elle mourait d'envie de rebrousser chemin. Ils étaient pourtant venus de nombreuse fois ici, mais jamais pour subir un tel arrachement.

- Il faut suivre le plan.

Murmura-t-elle à contrecœur. Sur ces mots ils franchirent les derniers mètres qui les séparaient de la maison. L'homme toqua. Elisabeth serra l'enfant contre elle, comme si elle avait peur qu'il s'envole.

La porte s'ouvrit laissant apparaître dans l'entrebâillure une femme aux cheveux bruns rassemblés dans un chignon, vêtue d'une longue chemise de nuit beige. Elle sortit en silence et regarda tour à tour les deux parents, avec un air compatissant. Ses yeux se posèrent alors sur l'enfant qui, désormais, gazouillait, bien loin de comprendre ce qu'il était en train de se passer. Devant la mine inquiète de ses amis la nouvelle arrivante se sentit obligé de les rassurer.

- Je vais bien m'en occuper, promis. Et vous viendrez le voir.

- Merci Yvonne...

Répondit Elisabeth à mi-voix, elle n'en doutait pas mais la douleur ne diminuait pas pour autant. Yvonne se tourna vers l'homme qui retenait ses larmes du mieux qu'il pouvait. Voir ainsi son ami lui serra la gorge, elle l'entraîna alors dans une accolade réconfortante et lui dit « tout va bien se passer Olivier ». Il inspira un grand coup pour se remotiver et faire partir son envie de pleurer. Subitement Elisabeth se tourna et fixa l'obscurité.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

S'étonna Olivier. La jeune femme frissonna.

- J'ai cru entendre un bruit.

Souffla-t-elle. A présent Yvonne aussi sentait comme une présence mais il faisait trop sombre pour voir quoi que ce soit. Les deux parents comprirent qu'il était temps de partir. Leurs regards tristes étaient déchirants pour Yvonne. Elisabeth ne se retenait plus de pleurer et ses larmes tombaient comme des perles sur la couverture qui enveloppait l'enfant, avant de disparaître absorbées par la laine.

- Ne t'inquiètes pas Eli.

Dit Yvonne. Elle tendit sa main et la déposa sur le bras découvert de la mère. Elisabeth se décida alors à la laisser prendre le bambin. Avec toute la délicatesse nécessaire l'enfant quitta les bras de sa mère pour rejoindre ceux d'Yvonne. Elisabeth essuya son visage humide pendant qu'Olivier déposait un dernier baiser sur la joue de son enfant. Après s'être remit de la première douleur lancinante qui lui avait traversé le cœur, et du vide qui pesait entre ses bras, elle se pencha à son tour sur le bébé, embrassa son petit front, et lui chuchota au creux de l'oreille quelques mots.

- Au revoir mon ange, ta maman t'aime...

Sur ce les parents remercièrent leur amie puis ils partirent, autant pour ne pas être repéré que pour ne pas allonger ce moment si douloureux. Ils s'éloignèrent, accompagnés durant plusieurs mètres par les pleurs de l'enfant qui s'estompèrent quand Yvonne ferma la porte. Ils étaient détruits, bien qu'ils sussent pertinemment qu'il s'agissait sans aucun doute la meilleure des solutions. Désormais il était en sécurité, et c'était tout ce qui importait. Ils partirent sans se retourner, les épaules secouées par des sanglots incontrôlables.

Lorsqu'ils eurent quitté la rue, une ombre sortit de sa cachette. L'homme avait bien failli se faire repérer par Elisabeth. Il était arrivé là par hasard, mais il ne cessait de se dire qu'il avait une chance énorme d'avoir croisé ces gens. Il ne pouvait pas attendre plus longtemps. C'était le seul moyen de s'en sortir. Sur cette résolution il traversa la route et tapa contre la porte de la demeure encore éclairée.


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