My sweet baby-sitter/ Sortie prévue sur Amazon en juillet 2021

Chapitre 9-Galère(s) Jour n°32 DOC

— On vous l'a expliqué, Monsieur Anderson. Il est impossible qu'on vous paye plus qu'on le fait déjà. Vous ne pouvez pas livrer plus de journaux que nous en recevons.

Elle est sympa cette Madame Wills, ma nouvelle patronne, mais elle ne fait pas avancer le schmilblick avec ses excuses à deux balles. Ça fait presqu'un mois que je passe mes soirées à livrer des piles et des piles de journaux. Des jours que je ne rêve que de dormir une nuit complète dans mon plumard, des jours que ces putains d'élastiques et de ficelles me cisaillent les mains, des jours et des jours que je me gèle les miches dans les rues de Queens. Pourtant même après avoir trimé comme un malade, même après avoir distribués le double des journaux que le font mes collègues, cette petite femme rondelette agite sa mini queue de cheval en tous sens pour me répondre que non, elle ne m'augmentera pas.

— Mais, vous avez vu comment je travaille, madame Wills ! argumenté-je en ponctuant chaque parole d'un mouvement de mains vif. Je suis à l'heure, rapide et soigné ! Vous devez m'augmenter ! J'assume le taf de deux mecs, franchement !

— J'entends mais il faut que vous compreniez que j'ai moi aussi des choses à gérer et que les 650 dollars que vous touchez sont bien suffisants. Regardez ce que mes concurrents payent et vous verrez.

Là-dessus, elle n'a pas tort. Si j'ai arrêté mon choix chez News Every News, c'est justement parce qu'ils payaient bien. Le sacrifice se trouvait dans le don de mes nuits à l'entreprise qui demande de bosser en nocturne quatre jours par semaine. Je ne rétorque donc rien, chose qui parait satisfaire mon interlocutrice. Contente de son tour de force, elle me tapote gentiment l'avant-bras comme si j'étais un gamin à qui elle refusait une barbe à papa.

— N'en parlons plus, conclut-elle. Sachez que je souhaite que vous restiez chez nous. Voulez-vous que je vous offre un café ?

Cette blague ! D'un geste las, je lui indique de laisser tomber, les tempes bourdonnantes. Bordel, c'est la merde !

Mes heures de services achevées, je m'échappe de l'entrepôt et marche à grands pas en direction de chez moi. Alors que mes boots tassent la neige fraichement tombée dans la nuit, je tente de monter des explications à servir à la mère Walker. Elle sera dans le hall de l'immeuble et il est certain que je vais devoir lui filer le chèque du loyer. Si le mois dernier ça a été chaud de le régler, je sens que cette fois, ce sera mission impossible. À moins que je le paye quand même. Je suis à -450 dollars sur le compte. Avec les 550 du loyer, je vais me retrouver à presque 1000 balles de découvert. Non ! Mauvais plan ! À moins qu'une liasse de billets de 100 dollars soit planquée dans la neige, je vois mal comment m'en sortir...

Je passe devant l'épicerie du père Marley et achète la traditionnelle bouteille de lait frais pour Carmelle qui en raffole. Je prends au passage un paquet de bonbecs pour les mômes de l'immeuble et une sucette torsadée spécialement pour la petite Gracy, une adorable gamine d'à peine 5 ans que les parents laissent trainer toute la journée devant l'immeuble. Elle me fait penser à moi, quand j'étais enfant et que ma mère me flanquait à la porte de notre appartement crasseux pour mieux recevoir ses dealers et ses clients accros à ses charmes.

Je tends mon dernier billet de vingt dollars au père Marley et je reste une petite minute pour parler avec lui du dernier match des Giants. Je suis fauché comme les blés, j'habite un quartier craignos mais j'aime ce que j'y découvre tous les jours. Je veux parler des gens comme le père Marley qui n'a pas plus d'argent que moi mais qui n'hésite pas à donner de son temps pour montrer à l'autre qu'il est important. J'adore cette sensation d'exister.

C'est avec le sourire aux lèvres que je sors de l'épicerie mais il se fane vite quand j'emprunte les trottoirs givrés qui mènent à l'immeuble. Mes problèmes de frics ressurgissent vitesse grand V et j'ai beau les retourner dans tous les sens, je n'y vois pas de solution.