11 -- Wounded

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Luca était en retard.

Il avait prévenu Jim d'un petit contre-temps, mais il aurait déjà dû être arrivé maintenant. Son dernier message datait de la veille à 23 h 28. Il était presque minuit trente quand Jim décida de l'appeler, minuit quarante-cinq quand il prit ses clés, minuit cinquante quand il monta dans sa berline gris métallisé.

Il avait un mauvais pressentiment. Il refusait de l'énoncer en mots, de peur d'ouvrir la porte à une culpabilité fondée. Il espérait que le simple fait d'y penser, de s'inquiéter, ferait que son ami serait peut-être arrivé au bar entre-temps, et dans une heure ils en riraient ensemble.

"Tu me cherchais là-bas, et je te cherchais ici, c'est con" dirait Jim en levant son verre.

En attendant, Jim tentait de joindre Luca une nouvelle fois, laissant à sa voiture le soin de composer le numéro à sa place. La sonnerie du téléphone déroulait sans fin, comme cette putain de route qui lui semblait si courte à l'allée, et trop longue, voire carrément interminable au retour.

"Réponds, réponds, réponds..." suppliait Jim en veillant à respecter le code de la route, quoique ce fut le cadet de ses soucis, really.

La boîte vocale de Luca s'enclencha, Jim raccrocha.

Bloody hell, Luca!

Il avait déjà laissé trois messages injurieux, violents... inquiets; il doutait qu'en énoncer un quatrième change la donne. Il refusait de croire qu'il puisse s'être passé un truc, peu importe les possibilités qui défilaient dans sa tête — c'était ridicule, on n'était pas dans un putain de film! Et pourtant Jim pouvait presque entendre la musique dramatique jouer en arrière-plan lorsqu'il s'engagea dans l'entrée du stationnement de la copropriété, lequel débouchait également sur celui du Café Loco.

Si sa poitrine était comprimée depuis son départ du bar, son cœur, lui, menaçait d'éclater sous la pression. En particulier lorsqu'il constata que le Café Loco était fermé, et Luca, absent. Sa gorge se noua lorsqu'il vit, détourant le stationnement qu'occupait la voiture de Luca ce matin-là, une nuée de brillants sur l'asphalte.

Du verre fracassé.

Jim n'était pas stupide. Même si les morceaux empiétaient sur l'espace libre, il était facile de recouper leur position avec celle des fenêtres et des pare-brise. Sans réfléchir, il immobilisa sa propre voiture et sortit de l'habitacle pour examiner la scène, téléphone en main. Non loin sur le bitume, quelques taches humides laissaient présager le pire.

Pris d'étourdissement, Jim se dirigea vers une bordure de ciment pour s'asseoir. Il laissa retomber la tête entre ses genoux pour éviter de vomir... et son œil accrocha un élément insolite, blanc et irrégulier.

Jim s'en saisit pour l'observer. Il n'était pas calé en anatomie, mais il savait reconnaître une dent quand il en voyait une. En particulier quand elle était maculée de sang. Il eut un haut-le-cœur, qu'il réprima en se levant. Il devait partir d'ici. Il devait... appeler quelqu'un. Sans trop savoir pourquoi, il empocha la dent. Comme Luca ne répondait pas, il choisit dans la liste de ses contacts téléphoniques le prénom le plus improbable... et pourtant le plus sûr.

Man... please answer. (Réponds, mon gars, s'il te plaît.)

Après une unique sonnerie, un grognement lui répondit :

— J'allais t'appeler.

Is he okay? (Est-ce qu'il va bien?)

Please, let him be okay (s'il vous plaît, faites qu'il aille bien).

Jim se répéta cette phrase comme un mantra en boucle pendant les interminables secondes que passa Antonio dans un mutisme énervant. Puis l'Italien soupira.

Comme deux et deux font quatreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant