I - Chapitre 16

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          Plus nous approchons de mon village, plus mes doigts se resserrent autour de ceux de Noah. Je regrette d'avoir dit à mon père que nous viendrons à pieds, je n'ai pas pensé que la marche de presque deux heures pouvait être pénible pour l'homme près de moi. Il n'est pas habitué au froid et à devoir marcher autant, pourtant il ne moufte pas. Il se contente d'observer le paysage qui l'entoure et de me lancer quelques regards pour s'assurer que je vais bien. Si seulement il savait à quel point c'est le chantier au fond de mon cœur. Les quelques larmes que j'ai laissé échapper un peu plus tôt ne sont rien en comparaison de ce qui sortira dès qu'il sera loin de moi.

Je connais suffisamment mes parents pour savoir que jamais ils ne me laisseront repartir dans cet état. Je suis bonne pour passer quelques jours chouchoutée par ma mère et veillée par mon père.

— Nous arrivons bientôt, j'annonce quand nous sortons enfin de la forêt.

Bob marche devant nous, joyeux comme tout de faire une ballade et Noah s'amuse à lui lancer des bouts de bois de temps à autre. Son sac à dos sur l'épaule, emmitouflé dans ses épais vêtements de neige et un bonnet fermement vissé sur la tête, je réalise qu'il n'est pas à sa place ici. Je dois le laisser s'en aller et pour ça, je dois lui montrer que son départ ne m'affecte pas, même si je suppose que c'est trop tard. Je dois rendre son départ moins pénible, qu'il se dise que finalement, si je n'ai pas pleuré, c'est que je n'étais pas tant attaché à lui.

Je dois réussir à le faire pour lui.

Je vois bien dans son regard qu'il compte revenir ici un jour, il n'a pas besoin de mots, mais ce n'est pas une vie pour lui. Un alaskien peut s'adapter dans une grande ville, l'inverse est beaucoup plus rare. Un gars de la ville ne tiendrait pas longtemps ici, pas en plein hiver. Il n'y a pas non plus le confort auquel il doit être habitué. Pas d'appartement de luxe, pas de piscine et encore moins de personnel pour tout faire à notre place. Noah ne serait tellement pas à sa place ici. Alors, je vais prendre sur moi et le laisser partir.

Lui dire adieu.

— Quelle est la première chose que tu vas faire en rentrant chez toi ?

Je tente d'adopter une voix enjouée et joyeuse et, même s'il me regarde en fronçant les sourcils, il joue le jeu.

— Je pense aller dans le premier fast-food que je croise et manger un énorme hamburger !

Rien que d'entendre ça, je salive. En hiver, en Alaska, les plats sont plutôt monotones et nous mangeons ce que nous chassons. Pendant le séjour de Noah, ce dernier a donc eu exclusivement de l'orignal comme repas. D'ailleur mon stock a sévèrement baissé et je sais que je vais devoir retourner à la chasse dès mon retour chez moi. Même le poisson que nous avons pêché ne durera pas éternellement.

— J'en rêve, je lâche en soupirant d'envie en pensant à un burger.

Noah rit en se moquant gentiment de moi et je réfléchis à ce qui me manque ici et que je pourrais trouver à New York. Mis à part la nourriture plus variée, j'ai beau me creuser la tête, rien n'a plus d'importance là bas. Dans quelques heures, il y aura Noah, mais pour le moment rien ne me donne envie d'y retourner. Mon appartement design et dernier cri ne me laisse même pas le moindre vide au fond de moi. Il est à moi maintenant que Richard n'est plus de ce monde, sauf qu'y remettre les pieds me semble au-dessus de mes forces. Depuis leur décès, je n'y suis retourné que deux fois et à chaque fois c'était pour récupérer mes vêtements.

Un jour je serais assez forte pour y retourner, mais pas encore.

— C'est ton village ?

Je relève les yeux et remercie intérieurement Noah de m'avoir sortie de mes pensées nostalgiques. En contrebas de la butte où nous nous trouvons, se trouve Hughes, le village qui m'a vu grandir, ma maison.

Wild HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant