Chapitre 14

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Il arrivait parfois que l'on ferme les yeux, persuadé que simplement rêver pourrait suffire, qu'il était inutile de s'inquiéter d'autre chose. Cet espoir que rien ne serait pire, que le déclin était impossible, empêchait les yeux de voir la réalité d'aujourd'hui.

Puis les paupières s'ouvraient pour constater la triste vérité que la vie avait continué sans nous.

Aujourd'hui, lorsque je faisais face au soleil, quelque chose me manquait. Aujourd'hui, lorsque je me réveillais le matin, quelque chose manquait. Mes mains cherchaient et ne trouvaient pas. Mon regard se perdait ça-et-là, espérant capturer une image qui avait pourtant disparu depuis longtemps. Et cela durait depuis des siècles, et des siècles. Tellement longtemps que même ma mémoire si parfaite eurent-elles pu être ne parvenait plus à se souvenir exactement.

Aujourd'hui, j'aurai pu croire que la vie m'était revenue. Que ce que j'avais détruit pour un égoïsme revenait enfin pour combler les vides que j'avais moi-même entrainé.

J'avais eu tort, comme souvent.

— Vas-tu m'en vouloir encore longtemps ?

— Tu t'attendais à quoi ?

Gabriel faisait trempette près d'une petite cascade. Il aimait l'eau, comme toujours. Cela l'apaisait et lui permettait de pénétrer les rêves plus habilement qu'un succube. Son corps détendu, son esprit l'était alors tout autant et l'Archange pouvait plus aisément user de ses dons angéliques offerts par son Père à sa naissance.

Même s'il ne l'utilisait pas exclusivement pour faire usage de ses dons, Gabriel s'était habitué à aimer l'eau, se baigner. Je n'étais pas vraiment quelqu'un d'observateur mais concernant Gabriel, tout m'apparaissait. Comme en cet instant, alors qu'il n'exprimait rien d'autre qu'une froideur robotique, je ne voyais que de l'arrogance. Il semblait si persuadé que j'allais simplement accepter mon sort à vivre pour l'éternité dans le jardin d'Eden qu'il... Qu'il... Mais que faisait-il au juste ?

L'homme torse nu s'était approché de moi. Installée au bord de l'eau, non pour le suivre mais parce que je m'y trouvais avant qu'il ne débarque pour prendre des nouvelles de sa prisonnière, je me refusais à partir et trouver un autre lieu dans ce maudit jardin ! Une vraie Reine n'abandonnait pas son siège à l'arrivée de l'ennemi. Jamais, au risque de passer pour une lâche qui prendrait la fuite avant même que le combat n'ait commencé.

Gabriel en profita, se saisissant soudain de mon bras pour me tirer à l'eau. Dans un petit cri vraiment misérable, je tombais pour me retrouver presque sous l'eau. Remontant la tête à la surface, trempée de la tête aux pieds, je le fusillais du regard. Il riait. Cet imbécile se moquait de moi !

Je frappais l'eau de ma main, lui balançant une vaguelette furieuse.

— Je te hais !

Ses ailes se déployèrent, l'une d'elles le protégeant de mes projections d'eau.

Il retira ce bouclier au moment où mes attaques cessèrent. Ses bras se tendirent pour m'attirer à lui dans une étreinte que je n'étais pas certaine de vouloir rejeter.

— Je sais. Je t'ai pris ta liberté. Mais comprends-moi Lys. Je me refuse à te laisser mourir sans réagir.

Il prit mon visage en coupe, le levant vers le sien.

— Je vais chercher un moyen de changer cette prophétie qui te mène à ta mort et dès que ce sera fait, je passerai le reste de mon existence à tenter de me faire pardonner. Mais par pitié, ne te met pas en danger. Je t'ai enfin retrouvé...

Je lui avais arraché nos souvenirs passés, notre vie commune, la naissance de notre amour. Et lorsque finalement tout lui avait été rendu, il s'était écoulé un temps infini et des sentiments piétinés. J'étais devenu un démon, lui était resté un ange. Il ne m'avait jamais fait de mal, jamais combattu sincèrement, sentant surement encore ce lien qui nous avait uni. Mais il n'avait pas eu le droit à se laisser aller dans l'expression de sentiment. A cause de ce qu'il était et de ce que le pacte avait fait de moi. Une soi-disant ex d'Adam, la première femme de l'humanité ayant préféré devenir Reine en Enfer que servante d'un homme sur Terre. Un passé faux qui m'avait protégé de tous mais humiliée auprès du seul qui avait vraiment compté jusqu'à présent : Gabriel.

Alter Ego (Tome 4) - La Compagne éternelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant