17 avril 1911

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Je ne dors pas. Je n'y arrive pas.

J'ai allumé la petite lampe à huile à côté de mon matelas. Je ne pourrais pas la laisser trop longtemps : la combustion vicie l'air de la mezzanine. Naola dort côté piaule, moi je suis coincé contre le mur et ça va vite devenir irrespirable. Tant pis, faut que ça sorte, de toute façon.

La Vieille Naine nous a piégés.

Un beau piège en trois étapes :

• M'embaucher dans sa garde rapprochée

• Faire chercher Naola par Kímon pour l'amener dans son bureau — bureau dans lequel j'étais, bien sûr

• Lui proposer un emploi — vu qu'elle ne travaille plus au Mordret's Pub

Nao a refusé poliment.

« Vous devriez cesser votre petite aventure, Maden et toi. »

Voilà. Secret éventé. La Naine a lâché ça sans me regarder. J'existais pas. Pourtant je suis certain qu'elle savait que j'étais livide. Elle a parlé de Leuthar, elle a ajouté que ça serait mortellement dommageable que Nao refuse de travailler pour elle. Je ne sais pas qui nous a balancés, mais c'est fait.

Naola a bien essayé de démentir, ça ne servait plus à rien. Elle a jusqu'à jeudi pour céder : soit elle bosse pour la Naine (en arrêtant ses études), soit la Naine nous dénonce à l'Ordre. Dans tous les cas, il faut qu'on se sépare.

Je savais que ça finirait mal. Je savais qu'on faisait une connerie.

Après ça, le Baron m'a gardé des heures et des heures sur place, pour qu'on passe le moins de temps possible ensemble. Qu'on ne puisse pas réfléchir. J'étais dans un état second, entre la panique et le blanc total, comme si mon cerveau ne pouvait pas avoir une réaction logique. Incapable de prendre la moindre décision.

Nao m'attendait dans ma piaule. Elle était prête à capituler, à se donner à la Vieille Naine. On s'est engueulés. Il est hors de question qu'elle subisse ce que la Naine et le Baron me font endurer depuis toutes ces années, encore moins par ma faute ! Je lui ai dit de fuir, de se barrer loin de Stuttgart, d'aller dénoncer la Naine aux P.M.F. — en tant que sorcière, elle a plus de droits que moi. Elle ne voulait rien savoir.

« Sauver ma peau pour que t'y laisses la tienne ? Merci bien ! »

Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ça ?

Notre dispute a ameuté Louve et Kayané. Louve a pris les choses en main : demain, on libère Kímon et on fuit tous les trois. Nao, Kímon et moi.

Demain, on lance l'assaut contre le bâtiment de la Vieille Naine, on récupère Kímon sous son nez et on s'enfuit en hexoplan vers Niémen. Kayané m'a donné un mot pour son frère, pour qu'on y soit bien accueillis.

C'est suicidaire.

Louve et Kayané vont faire une diversion dans le réfectoire (il y a souvent du grabuge là-bas), Louve fera semblant d'être ivre, elle renversera le buffet... Kayané en profitera pour poser une charge explosive dans un coin de la pièce. Pas un gros truc (le but n'est pas que ça fasse des blessés), mais suffisamment pour qu'on ne se préoccupe que de ça.

Moi, j'emmènerai Kímon jusqu'au toit. Naola nous y attendra avec sa bécane. Cap sur le nord. Adieu Stuttgart. On embarque pour un vol de plusieurs jours.

Je ne vois pas comment ça pourrait bien tourner. Est-ce que Kímon va nous suivre ? Est-ce que Naola va réussir à nous ouvrir un passage vers les greniers ? Et Merlin, comment est-ce qu'on va tenir, à trois, sur son minuscule hexoplan ? !

Et puis, une fois à Niémen, qu'est-ce qu'on fait ?

J'écris tout ça parce que je ne peux pas dormir. J'ai une boule d'angoisse au creux du ventre. J'essaie de ne pas trop bouger, de contrôler ma respiration pour ne pas réveiller Naola. Elle va avoir besoin de forces pour nous transporter sur toute cette distance. Dans quoi je l'embarque ?

Si ça se trouve, c'est la fin de ce carnet.




Si ça se trouve, c'est la fin de ce carnet

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Le carnet de MadenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant