4 a viz Gwengolo 2353*

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L'anniversaire de Lutèce a été une catastrophe. Pas à cause du cadeau, non : je ne lui ai pas offert.

Quand je suis arrivé à l'Arbre-sec, Lutèce était déjà là, bien sûr, et Lars était avec elle. La main qu'il avait passée sur sa hanche m'a mis le doute. Ça n'a pas duré : deux minutes plus tard, je les ai vus s'embrasser. Ou quelque chose comme ça, puisque la bouche de Lars tient plus du méca que de l'organique.

Ça m'a fait un choc. J'ai fait comme si de rien n'était, pourtant j'étais glacé de l'intérieur. J'ai rejoint la bande, au sous-sol, j'ai souri, j'ai ri avec les autres, mais j'avais la tête vide.

Quelqu'un avait dégoté des bouteilles durant une expédition. Du vin, de la bière, du whisky. Avec la chaleur moite de la cave, l'alcool m'est très vite monté au caillou. Lars se pavanait au bras de Lutèce. Cette vision me donnait envie de vomir. D'ailleurs, j'ai vomi plus d'une fois cette nuit-là.

Lutèce pouvait pas juste sortir avec lui : avec sa gueule cassée, il y avait forcément un truc louche là dessous. J'essayais de m'en persuader en noyant mon malaise dans un verre de plus.

Je ne sais honnêtement plus comment j'ai déraillé. Lars est venu me donner l'accolade, il m'a dit quelque chose que j'ai pris de travers et je lui ai mal répondu.

Lars est un gars bien. Généreux, humain, un bon chef, seulement faut pas mal lui parler. Ça a commencé à chauffer entre nous, puis je lui ai craché ma hargne à la figure, littéralement. Lutèce s'en est mêlée quand elle a compris qu'il était question d'elle. Elle a vu rouge qu'on puisse se bagarrer comme ça « pour elle », comme si elle était un morceau de barbaque ou un bout de tissus. Ça m'a fait l'effet d'une douche froide. J'ai tourné les talons et fui à toutes jambes hors de la planque, suivi par Lars, malheureusement trop bourré et trop hors de lui pour lâcher l'affaire.

On s'est battus dans la rue, je lui ai fait goûter mes poings de marin mal dégrossi, il m'a enfoncé ses mécartifices dans le ventre. Lutèce hurlait pour nous séparer, puis a rejoint la rixe quand elle s'est reçu une baigne au visage. Je ne saurais pas dire qui de Lars ou moi la lui a mise. Peu à peu, toute la bande s'est massée autour de nous. C'était le milieu de la nuit, ça a réveillé les habitants du quartier, tout le monde criait.

Les P.M.F. ont débarqué. Lars, qui est un peu recherché et aurait pris cher s'il s'était fait chopper, a tout juste eu le temps de se planquer dans les sous terrains. Lutèce et moi on s'est fait emmener. On a passé la nuit dans la même cellule, dans le malaise le plus total. Elle s'est calée au fond de la pièce, les jambes remontées contre sa poitrine. Elle ne m'a pas adressé une seule fois la parole.

Au matin, j'ai eu la désagréable surprise de découvrir Kristen à la sortie du centre des P.M.F. On est rentrés chez nous en silence, et elle m'a engueulé, à peine la porte refermée. Comme quoi j'étais stupide de m'attirer des ennuis comme ça, que si je pouvais me mettre à dos les sorciers en les volant, j'étais corniaud de me brouiller avec Lars. Et pour une fille en plus !

Qu'est-ce que tu voulais que je lui réponde ? Ouais ! Ouais j'ai merdé ! En même temps j'en ai marre de cette vie, marre de me battre tous les jours pour survivre dans cette ville qui nous tue à petit feu ! On avait dit qu'on en repartirait vite : résultat, l'hiver va revenir et on sera toujours coincés ici.

Je lui faisais confiance, moi, à Kristen, quand on a quitté le village ! Je pensais qu'avec elle je pourrais retrouver mon frère ! À la place, elle nous a foutu dans la merde jusqu'au cou. Piégés dans une maison moisie, obligés de mendier ou de voler pour survivre un jour de plus, enchaînés à une routine qui nous permet tout juste de nous trouver à bouffer.

Kristen a blanchi quand j'ai commencé à lui dire tout ça. Elle a répliqué qu'elle ne me devait rien, qu'elle essayait de m'aider. Quelle aide ! Merci bien. Elle m'a attrapé le bras et elle m'a collé contre un mur avec violence.

« Tu serais mort en moins d'une semaine si je t'avais laissé partir seul, Maden ! »

J'ai répondu que, vu que de toute façon elle n'avait jamais vraiment eu l'intention de retrouver Kímon, ça aurait sans doute mieux valu. Elle a levé la main pour me gifler, mais je l'ai repoussée d'un coup sec. Elle a perdu l'équilibre et s'est étalée par terre. Là, j'ai su que j'étais allé trop loin.

Elle s'est redressée en se tenant le bras. Elle saignait, elle avait dû s'érafler contre le coin de la table. Sans rien dire, elle est passée à côté de moi, a ouvert en grand l'entrée et m'a montré dehors.

« Va-t'en. Je ne veux plus te voir », a-t-elle dit sans me regarder.

J'ai essayé de protester.

« VA-T'EN ! », elle a répété.

Je me suis barré en claquant la porte de toutes mes forces. Qu'elle aille se faire voir ! Dehors, je me suis trouvé bête : je ne pouvais plus aller à l'Arbre-sec et je n'avais plus de maison...

Depuis, je dors à la belle étoile.

* 4 septembre 2353

Le carnet de MadenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant