19 a viz Ebrel 2354*

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Kristen a bien voulu de me revoir. En fait, elle aurait accepté dès le lendemain si je ne m'étais pas calfeutré pendant des jours à ruminer ma honte et ma colère. J'ai glissé mon courrier sous la porte et j'ai tourné les talons. Elle a dû m'entendre, parce qu'elle a ouvert la maison à la volée et s'est jetée à ma poursuite, sans lire la lettre, bien sûr.

Elle m'a rattrapé dans la rue, m'a saisi le bras, m'a foutu une gifle et m'a serré contre elle en s'effondrant en larmes. Je l'ai soutenue et on est rentrés ensemble. Me courir après comme ça, alors que ses poumons vont mal, quelle idée !

Depuis, l'hiver s'est installé. Sans les petites courses de Lars, au début, ça a été terrible. Et puis, un jour, je me suis pointé au centre des P.M.F. et j'ai demandé à voir Serge. On m'a ri au nez. J'ai dit que j'allais patienter. Je me suis assis sur l'un des bancs proprets, bien alignés dans l'entrée, et j'ai attendu. Au bout d'une heure, la soldate à l'accueil m'a ordonné de partir, j'ai refusé. Ils se sont mis à deux pour me jeter dehors. Je suis rentré tout de suite, ils m'ont vidé de nouveau. Ce manège a bien duré deux heures avant qu'un gradé, alerté par le boucan, passe par là, me reconnaisse, pousse un énorme soupir et me conduise à Serge.

« J'ai arrêté de voler. Maintenant je crève la dalle et j'ai plus de quoi soigner Kristen. Je veux bien faire des efforts, sauf qu'à un moment, c'est plus tenable. Du coup, on fait quoi ? »

Le surlendemain, je revenais au centre des P.M.F. On m'a mis un balai entre les mains, on m'a dit de nettoyer la cour et, à la fin de la journée, on m'a donné cinq dens. Largement de quoi acheter à manger et renouveler nos fringues.

C'était stupide comme travail : les sorciers ont des sorts pour ça. Toute la garnison trouvait ça tout aussi idiot, mais comme c'était un ordre de Serge, personne n'osait rien dire, en tout cas, rien directement. Je sentais bien à leur regard et à la façon dont les conversations s'éteignaient à mon arrivée que personne n'appréciait ma présence.

Ça a duré quelques jours. Affûter les lames, repriser les uniformes, passer le balai, faire les lits... Comme ça ne m'occupait pas toute la journée, je me suis amusé à graver les manches des outils que j'utilisais. Au village, avec la vannerie, sculpter, c'est ce que je préférais. Ça m'avait manqué, en fait.

Un garde m'a vu, je me suis retrouvé chez Serge pour « dégradation de matériel ». Ridicule... D'autant qu'ils ne l'utilisent jamais, ce matériel. Enfin bref, il n'était plus question de me faire bosser à la caserne. Serge a observé le manche (un beau noyer en plus) que j'avais « vandalisé », il a haussé les sourcils et fouillé l'un des tiroirs de son bureau. Il en a sorti un petit boîtier en bois sombre dans lequel était incrustée une boucle en métal.

« Tu sais ce que c'est ? » il a demandé.

J'ai fait non de la tête.

« C'est là-dedans que je range mon concentrateur d'apparat. Tu saurais me le sculpter comme ton balai ? »

Un peu, oui ! J'ai passé trois jours et trois nuits blanches dessus, à ne plus pouvoir bouger les doigts tellement ils étaient fatigués. J'ai dépensé mes économies pour acheter de l'huile et je suis allé cueillir du jonc, dans les tourbières en bordure de forêt, pour tisser une belle vannerie autour.

Serge m'a remercié et m'a demandé de noter mon adresse sur un papier. Deux jours plus tard, un domestique est venu frapper à la porte et m'a informé que sa maîtresse souhaitait que je réalise la sculpture d'un petit écrin pour le concentrateur qu'elle offrirait à sa fille à l'occasion de ses vingt et un ans. Ou un truc du genre. Les concentrateurs, de ce que j'en ai compris depuis que je fréquente un peu plus les sorciers, ce sont des objets — souvent des bijoux — conçus dans un métal spécial — de l'iris — , qui canalisent leur magie pour que leurs sortilèges soient plus efficaces. Des outils autant que des armes, donc. Un enchanteur en possède plusieurs en général : un pour tous les jours, un pour les grandes occasions. Certaines personnes en changent même selon l'usage qu'ils veulent faire de leur magie : un pour les soins, un pour se battre, un pour le sport...

J'ai creusé un peu et j'ai compris : Serge, en tant que chef des armées de Paris, passe quelques soirées à faire des ronds de jambe. Même que mon travail a fait beaucoup d'impression à ces messieurs dames des grandes familles sorcières.

« Authentique et fin, on dirait que c'est l'œuvre de la magie, mais non, c'est juste celle des mains d'un simple humain. »

Je passe donc l'hiver à sculpter des objets plus inutiles les uns que les autres pour les sorciers que j'ai, dans la grande majorité, déjà cambriolés. Comme quoi, finalement, ça paie largement mieux d'ajouter des babioles dans leur maison que d'en retirer.

Avec Kristen, on envisage de déménager dans une minuscule piaule plus proche du quartier des enchanteurs, bien mieux isolée que notre taudis actuel. Le loyer serait un peu plus cher, alors on hésite. Pour l'instant, on met de côté l'argent que je gagne pour acheter des vivres et du matériel afin de reprendre la route.

Kristen m'a confié que, si ça continuait comme ça, on pourrait même peut-être se payer un passeur qui accepterait de nous transporter via le réseau de transfert sorcier : en un battement de cœur, on serait à Stuttgart.

Ça serait pas mal, parce que sa santé ne va pas beaucoup mieux : je ne la vois pas se taper plusieurs mois de voyage. Je ne crois pas qu'elle y survivrait.

 Je ne crois pas qu'elle y survivrait

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* 19 avril 2354

Le carnet de MadenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant