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Lyly leva les yeux vers le ciel et quelques gouttes d'eau atterrirent sur son visage. Lâchant un rapide juron, elle ressera le manche de son parapluie entre ses doigts, et le réajusta correctement au dessus de sa tête. Elle avait dû s'enfoncer dans ses pensées les plus profondes pour ne point sentir l'impact des gouttes sur son corps. Lyly venait de quitter l'hôpital quinze minutes plus tôt et la pluie ne cessait désormais plus. Il pleuvait des cordes à Good Hills et les nuages sombres au dessus de la petite ville n'auguraient rien de bon. La météo l'avait bien prédit ce matin. Bien des fois, ces orages se transformaient en pluie diluviennes qui, au lieu d'ensevelir la ville à chaque fois pendant des jours, se contentait de noyer des bâtiments sous leur profondeur. Et c'était bien le cas de celui dont elle se rapprochait à petits pas, aujourd'hui reconstruit à moitié en restaurant, et l'autre partie en appartements et bureaux. Lyly se souvenait distinctement des trois jours qui furent sans doute les plus longs de sa vie. La catastrophe venait de se produire et le Mercy étant le seul hôpital le plus proche avait été envahi. Les blessés ne cessaient d'apparaître d'heures en heures, toujours dans des états plus dégradés que d'autres. Les proches et les familles n'en revenaient pas du drame, tandis que les secrétaires se trompaient sans cesse de patients, eux-mêmes dépassés du travail immense qu'il fallait accomplir. Et ces jours d'anarchies avaient été ses moments d'essais. Fraîchement embauchée, la nature s'était résolue à lui faire passer une sorte d'examen durant ces jours là, et à son grand étonnement, elle n'avait pas moins été passionnée de ce métier, malgré trois nuits blanches qui auraient pu lui faire changer de carrière.

Louis, son supérieur d'alors, lui avait fièrement attribué le mérite de faire partir de leur équipe et cette nouvelle n'en avait été plus que réjouissante pour elle. Un sourire vint se plaquer sur les lèvres de Lyly à ce souvenir, et les cris de joie qui avaient fusé du bureau des infirmières à ce moment là, continuaient de la griser encore. C'était de loin le meilleur de ses souvenirs.
En arrivant sous le paravant du Grill Open, Lyly marqua une pause pour ranger son parapluie. En se tournant, elle aperçût à travers la vitrine, l'objet de sa présence en ces lieux. Sa joie en prît un coup et une interrogation s'imposa à elle: avait-elle autant envie de partager ce moment avec sa famille? Sûrement pas, vu les circonstances. La distance qu'elle avait pris de sa famille n'avait eu de cesse de se creuser. Et maintenant qu'elle détenait de nouvelles raisons de reprendre son ancienne vie, plus rien ne l'obligeait à partager les moments forts de sa propre vie avec sa famille. Il fallait qu'ils se fassent une raison, vaille que vaille.

Sortant de sa léthargie, Lyly se concentra quelques secondes, puis entra dans l'établissement. Elle ne chercha plus des yeux, et vînt directement rejoindre celui qui l'attendait depuis peu. Prenant son courage à deux mains, elle se pencha pour embrasser celui qu'elle aimait du fond de son cœur.

- Bonjour, papa.

Surpris de l'accolade , Josh mît quelques secondes à reconnaître la présence de sa fille, et son habituel parfum. Un sourire illumina rapidement son visage éteint et il serra d'une main chaleureuse les doigts de sa fille. Sans se départir de ce bonheur qui gonflait son cœur, Lyly s'installa face à son géniteur et plongea ses yeux dans ceux de celui-ci. Les yeux gris enfoncés dans les orbites du plus âgé, la frappèrent de plein fouet.

- Bonjour, ma chérie. Comment vas-tu?

En dépit du sourire rayonnant qu'elle affichait, un couteau venait de se planter dans le cœur de la jeune femme.  La voix éraillée de son père l'interloqua, l'obligeant à porter une attention plus prononcée sur son physique. Le père de Lyly n'avait pas bonne mine, contrairement à ce qu'il lui laissait croire en ces instants et deux jours plus tôt. La chemise verte délavée qu'il portait, contrastait dangereusement avec celles plus chères qu'il portait auparavant dans sa vigoureuse jeunesse. Et en y pensant bien, quel âge Josh aurait pu avoir en ce jour? Quarante-cinq ans n'était pas vieux pour lui. Sûrement pas. Mais en se concentrant sur ses iris gris enfoncés dans leur orbites, cette peau fripée et ce teint peu uniforme, ainsi que ces cheveux qui tenaient à peine sur le sommet de son crâne, faute d'avoir été peignés, la jeune infirmière ne tarda pas à porter un rapide diagnostic sur M. Donoavan. Son père s'était bien négligé. Il était dans un tel état qu'il pouvait être confondu à tout moment dans les ruelles de Good Hills avec un clochard. Il n'avait plus rien du chauffeur de la grande université à la retraite. Il était possible de lui conférer une nouvelle identité. De ce fait, Lyly eût du mal à répondre, attristée.

Beau-père et plus, si affinités...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant