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Lyly claqua la porte d'entrée et enfouit rageusement le trousseau de clé dans son sac. En consultant sa montre quelques minutes plus tôt dans son lit, elle avait amèrement constaté qu'elle avait accusé beaucoup de retard. Et en imaginant le savon que lui passerait son supérieur, une secrète envie de retourner se coucher pour brandir une lettre de démission bien plus tard, s'insinua dans son esprit.
La nuit avait été longue. Les cauchemars n'avaient cessé de la tourmenter. Et même si elle avait longtemps résisté à l'envie de s'emparer des cachets de somnifères qu'elle avait difficilement essayé de dissimuler dans son placard, elle avait plutôt succombé à des antalgiques. Et sa douleur n'avait de source que l'épouvantable soirée qu'elle avait passé chez sa mère deux jours plus tôt. Il ne s'agissait nullement d'une gueule de bois, loin de là. Bien que la quantité d'alcool qu'elle eût à ingurgiter ne fût pas des moindres, elle l'avait lentement consumé avec sa colère en fond. Résultats: les céphalées la lançaient dans le crâne, et le souvenir de Tom la hantait beaucoup plus qu'elle ne l'aurait voulue. Inévitablement, il l'empêchait de reprendre son existence dans les meilleures conditions. Et la voilà qui se retrouvait avec quinze minutes de retard.

Lyly s'enferma dans la cage du seul l'ascenseur, et hésita longtemps à sortir son miroir. Tout comme elle hésita à décrocher les appels incessants qui faisaient vibrer son téléphone. Elle n'avait nullement envie d'entendre la voix de Mme Son, sa patronne, au bout du fil, tout comme elle n'avais pas envie de consulter son reflet. Elle peinait à sortir de son monde et rajouter une couche à son supplice n'aggraverait que les choses, - même si ce fût pour lui murmurer de douces paroles. Lyly s'impatienta longuement avant de parvenir au bas de son immeuble et de s'engouffrer dans le premier taxi venu, qui la déposa au Mercy Hospital. À peine eut-elle passé sa carte d'accès au détecteur qu'elle se vit accorder les regards de ses collègues. Oui, elle était au courant des nombreuses cernes qui ornaient le bas de ses yeux, telles de grosses valises. Mais le regard moqueur de Jess lui valût un arrêt.

- On aurait dit que tu descends des enfers.

Habituellement, Lyly aurait rit à cette remarque. Cependant, elle était beaucoup trop épuisée pour quelque geste que ce fût. Le coin de ses lèvres se releva nonchalamment:

- Si j'avais été d'humeur, je t'aurai répondu oui sans hésiter. Bonjour, Jess.

Jess partît dans un fou rire, tandis que Lyly se contenta de soupirer. Elle n'arrivait toujours pas y croire. Jess arrivait toujours à l'heure au service, alors qu'elle habitait une fois et demie plus loin qu'elle. Après quinze années d'amitié, Lyly n'en revenait toujours pas de côtoyer sa meilleure amie dans le service de chirurgie. Si Jess lui avait dit du retour de ses vacances à Sancity après le bal de fin d'année, qu'elle désirait embrasser une carrière de gynécologue, sa jeune amie d'entre temps n'avait jamais pu comprendre ce qui lui avait fait changer de filière. Parfois, il arrivait à Lyly de penser secrètement que Jess l'avait fait pour elle, - même si cela ne représentait qu'une vague hypothèse.

Lyly inspecta rapidement les lieux et constata que son supérieur n'était pas encore sur le terrain. Un léger soulagement s'installa dans son esprit et elle s'autorisa un rapide rire.
Dans les vestiaires, où elle s'appliquait à troquer sa robe bohème contre sa blouse blanche, Jess l'apostropha, un bol de fraises à la main:

- Alors, la fête des mères?

Lyly leva les yeux au ciel, éberluée. Cette mémorable soirée aurait tout le mal du monde à déserter son esprit, si son entourage s'évertuait à le lui rappeler constamment. Pis, cet « entourage » n'était que Jess, l'instigatrice de ce conseil qui avait ébranlé toutes les barrières de son mental et l'inciter à poser les pieds chez les Donovan. Si sa collègue avait une famille en un seul morceau et très traditionaliste, il était plus que sûr qu'elle ignorait totalement les dessous de son contraire. Certes avait-elle eu à traverser moult situations toutes aussi pénibles les unes que les autres, mais Lyly était sure de ce qu'elle ignorait tout des aller-retours entre une famille divisée et un internat.

Beau-père et plus, si affinités...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant