Hélène nous fait sortir par la porte arrière de la maison et nous passons par dessus le mur qui clôture le jardin. Tristan aide le prince à grimper, poussant sur ses jambes et lorsqu'il passe de l'autre côté, il tombe sur son flanc gauche en poussant un grognement.
— Nom de...
Il se mord les lèvres, bougon et lève ses beaux yeux noisettes vers moi lorsque je lui tends la main. Il l'attrape, je l'aide à se relever et lui redonne même sa canne.
— Merci, soupire-t-il.
— Allez, on longe les murs, lance Tristan.
La ville est déserte, alors nous passons dans les ruelles les plus étroites, celles qui sentent le poisson pourri, et nous cachons dès que nous voyons des gardes passer. Ils sont en tenues royale, c'est certain que le roi recherche son fils mais il y a également les changeurs de Peaux et dorénavant, il est compliqué de savoir à qui accorder sa confiance.
Quand je suis arrivée à Panterm, la veille, tout était si vivant, si brute, si animé... cette fois, la nuit est en train de tomber, le soleil se couche sur une capitale fantôme. Tout le monde se terre chez soi, certains sont probablement mort, et à en croire Tristan, tout cela par ma faute. Difficile de l'accepter.
Nous nous collons contre un mur, les uns derrière les autres.
— Où allons-nous ? Souffle le prince. Nous devrions retourner au château, je leur dirai de ne pas vous faire de...
Tristan plaque sa main sur la bouche du prince.
— Tais-toi donc petit prince, peut-être bien que le roi n'est déjà plus un roi.
Le prince pousse son bras et le fusille du regard.
— Ne reposez plus jamais vos sales mains crasseuses sur mon visage !
Le tonneau d'eau au fond de la ruelle se met à trembler après que le prince ait vociféré ces paroles et une Ombre Obscure en sort. Elle est fine, plus petite et ressemble à un lézard. Elle s'accroche au mur, nous toise de ses yeux blancs et terrifiants. Tout le reste de son corps est noir et visqueux, de la brume éparse émane de sa peau comme de la fumée d'un plat encore tout chaud.
— OK, je m'en occupe, ce n'est qu'un petit truc perdu, grogne Tristan sûr de lui.
Il s'avance vers l'Ombre Obscure et s'arrête devant elle. Il serre les poings, remus des épaules et fait même craquer sa nuque.
— Très bien petit lézard, je vais te cracher des flammes à la figure.
Je fronce les sourcils tandis que Tristan semble se concentrer, cependant rien ne se passe. La chose le regarde un instant, j'entends le Changeur de Peaux pousser un juron au moment même où l'Ombre se précipite vers lui. De sa queue, elle le fouette. Il se retrouve propulsé contre le mur à côté et tombe à la renverse. Il s'appuie sur ses bras pour se relever, je le sens très en colère et frustré... je ne lui laisse pas de seconde chance, je me précipite vers lui et me poste juste devant. Je tends ma main et fixe l'Ombre devant moi. La chose laisse échapper un étrange sifflement sinistre avant de se précipiter vers moi et à nouveau, elle entre dans mon corps, en heurtant ma main, toute sa brume semble se dissiper, passer sous les ongles... mon bras se raidit, mes veines ressortent, noircissent. Je serre les dents, me tiens le bras et tente de ne pas crier tant la douleur est intense.
Je manque de tomber en arrière mais Tristan me retient en posant ses deux mains sur mes épaules derrière moi.
— Je dois retrouver le manteau, souffle-t-il près de mon oreille.
Un frisson me parcoure.
— Je t'ai déjà dit que...
— On n'a pas le choix. Je pense savoir où le retrouver.
Il m'aide à avancer jusqu'à nos camarades qui me regardent tous les deux avec de grands yeux. Je préfère ne pas les affronter, trop honteuse pour cela. Hélène prend mon autre bras et le passe autour de ses épaules, comme l'a fait Tristan et nous avançons le plus rapidement possible. Nous n'avons d'autres choix que de suivre le Changeur de Peaux qui souhaite à tout prix retrouver son manteau.
Je les suis tant bien que mal, la tête me tourne, mes oreilles sifflent et j'ai très chaud alors qu'ici, il fait froid, quelques flocons tombent même du ciel.
— Où va-t-on...? Soufflé-je.
— On va aller dans les bidonvilles un peu plus loin près de la côte, rétorque Tristan.
— Ils sont là ! Rattrapez-les !
Nous nous retournons et nous pouvons voir cinq gardes du roi se mettre à courir en notre direction. Tristan porte aussitôt le prince comme un sac à patates afin d'aller plus vite et Hélène me tire maintenant par la main.
Nous voilà en train de courir dans les rues désertes et en désordre de Panterm , poursuivis par les soldats de la garde royale ou peut-être par des Changeurs de Peaux, c'est impossible de le savoir.
— Repose-moi sale vermine ! Ils sont là pour nous aider ! Crie le prince en frappant le dos de Tristan.
— Tu n'as aucun pouvoir ici petit prince, en fait, tu n'as aucun titre ici ! Je te reposerai quand je l'aurai décidé !
Tristan fait tomber des caisses dans la rue pour les ralentir puis donne deux coups de pieds dans la grille nous séparant du port, cependant, elle est verrouillée d'un cadenas.
— Fais sauter cette grille la sorcière ! Ordonne-t-il.
— Elle est affaiblie, grogne Hélène.
— Je peux le faire...
Je tends la main vers la grille, j'aperçois sur mon poignet ces veines noires qui ressortent mais j'en fais abstraction et je serre le poing. De la brume entoure alors la grille, se resserre autour comme un serpent puis elle est propulsée en l'air et s'écrase quelques mètres derrière nous, bloquant le passage aux soldats. Ce qui nous laisse un petit peu de temps pour nous échapper.
Nous nous rendons jusqu'à une petite barque en piteux état, nous montons dedans. Tristan pose le prince sans délicatesse puis se saisit des rames. Hélène fait de même. Le changeur de Peaux jette deux rames au prince, elles atterrissent sur ses jambes dont l'une est cassée alors il ouvre de grands yeux, le visage déformé par la douleur.
— BORDEL DE...
Il se mord les lèvres pour ne pas être vulgaire.
— On doit ramer tous les quatre ! Deux à gauche et deux à droite, vite !
— Tristan, peut-être que le prince a raison et...
Mais ce dernier me coupe la parole.
— Peut-être qu'il a raison ou peut-être qu'il a tort, le mieux pour toi , Chloé, c'est de t'éloigner de cet endroit.
— Et mon fils ? Mon père ? Intervient Hélène.
— On les retrouvera, grommelle Tristan.
— Oui mais...
— Ramez !
Les soldats atteignent le port alors nous ramons tous en rythme afin d'aller le plus vite possible et nous éloigner d'eux. Cette vieille barque moisie était la seule accostée à ce port, nous avons eu de la chance. Mais je peine à croire qu'elle tiendra bon.
Cependant nous quittons Panterm pour ses bidonvilles. Et si je me souviens bien les paroles d'Hélène, un Changeur de Peaux a volé ce manteau et surtout... on dit que les bidonvilles sont leur planque, à eux mais aussi à d'autres Êtres de Pouvoir.
Néanmoins je ne peux m'empêcher de regarder Tristan et me demander en quoi un simple manteau peut-il être si important.
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Invocatrice de l'Ombre
FantasyChloé est issue d'une famille noble. Pour ses dix huit ans, elle se voit forcée de se marier avec le prince et futur roi Andreï, un homme plutôt fragile qui ne prend jamais le risque de sortir. Alors que Chloé, elle, a soif d'adrénaline et de décou...