X - Le prince et Le Changeur de Peaux

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Lorsque j'ouvre les yeux, mon corps entier n'est que courbatures. Mon cœur bat lentement, ma tête me fait mal, ma gorge est enrouée... je me redresse doucement et reconnais la maison de Theodoro, je vois le prince Andrei assis sur le fauteuil, sa jambe tendue sur la table basse, il est endormi et semble bien plus paisible comme cela.

Visiblement, on lui a fait un bandage de bonne fortune. Une barre métallique, des bandes et ils ont tout scotché pour que ça tienne. C'est toujours mieux que rien afin de maintenir sa jambe pour que la fracture finisse par se résorber d'elle-même.

J'entends du bruit et du chahut, alors je me lève difficilement, je souhaite contourner le canapé cependant on me saisit doucement la main. Je tourne la tête et croise le regard encore endormi du prince.

— Où allez-vous ? Demande-t-il d'une voix fatiguée.

— Rassurez-vous, je ne vais pas vous abandonner.

Le salon est sens dessus dessous puis je vois Hélène y entrer tout en passant ses mains dans ses cheveux roux. Elle qui arborait un magnifique chignon, elle est à présent décoiffée et couverte de saletés.

— Mon père a disparu et mon fils aussi, grommelle-t-elle. J'ai retourné toute la maison à la recherche d'indices mais il n'y a rien. Je ne comprends pas. Mon père ne part jamais sans me laisser un mot et là, rien... je... je crois que je suis prise de panique.

Elle pose sa main sur sa poitrine et s'assoit sur le canapé en commençant à haleter. Je m'accroupis devant elle et pose mes mains sur ses jambes, je croise alors son regard.

— Tout va bien Hélène, inspirez, expirez... nous allons retrouver votre père et votre fils...

— Non, on doit partir d'ici rapidement, grogne Tristan.

Je lui jette mon plus mauvais regard.

— Vous ne connaissez rien à la vie. Entre la créature qui rôde dans Panterm, car oui, votre amie Chloé en a laissé échapper une bien avant que j'entre dans le château... et maintenant, probablement toute la garde royale si ce n'est toute l'armée de la Nation qui nous pourchassera pour retrouver le petit prince, nous sommes sacrément en danger ! Alors ça attendra les retrouvailles familiales.

— Vous n'avez aucun cœur, aucun sentiment, aucune empathie. Je vous regarde, je vous écoute... et bien que vous ayez l'apparence humaine, vous me semblez si peu humain, déclare Andreï.

— Et vous vous êtes estropié, alors vous feriez mieux de vous taire. Ici, il n'y a pas de classe sociale, vous n'êtes qu'un petit garçon tout frêle pour moi.

Le prince se lève, il prend appuie sur la vieille canne qu'on lui a prêté pour faire face à Tristan qui garde ses bras croisés.

— Je n'ai pas peur de vous, vocifère le prince.

— Vous avez raison, rétorque Tristan, vous devriez avoir peur de Chloé, votre douce Chloé... elle est dangereuse. On doit l'emmener à Esmeralda.

— Mon père... mon fils... intervient Hélène.

— On s'en moque ! S'ils sont partis sans vous, c'est qu'ils se fichent de vous ! S'exclame Tristan.

— Impossible...

Elle secoue la tête de droite à gauche.

— Avant d'emmener Chloé à cette Esmeralda, nous devons retrouver ces deux individus, déclare le prince.

— Il a une âme de leader maintenant ? Non mais pour qui il se prend celui là. On suit mes règles un point c'est tout.

Andrei se rapproche de Tristan, visiblement dans la provocation et aucun des deux n'en démordra. C'est un réel combat de virilité et de fierté auquel nous assistons.

— Vous n'êtes qu'une vermine que mon père fera exterminée aussi vite que nous écrasons les cafards, Peste Andreï.

J'esquisse un faible sourire, je ne le connaissais pas ainsi. Ses cheveux ne sont plus parfaitement coiffées, ils sont en désordres, ils rebiquent, son visage arbore quelques traces de poussières, tout comme ses vêtements. Il me semble moins fragile ainsi, bien qu'il s'aide d'une canne pour avancer.

— Tu as raison, provoque moi. Je te pousse et tu tombes à la renverse.

— Vous n'avez qu'à essayer.

— Bon, ça suffit, interviens-je.

Tout deux tournent la tête vers moi.

— Vous pensez vraiment que c'est le moment pour se battre ?

— Toi, on devrait t'attacher , je sens que tu es plus dangereuse que ton visage d'ange le laisse paraître, renchérit Tristan.

— Elle, au moins, elle coopère, grogne le prince.

Tristan se rapproche du prince, prêt à le pousser ou peut-être bien pire, alors je serre les poings.

— J'ai dit : stop !

Le sol tremble au même moment, de la poussière tombe du plafond et le lustre qui en pend se balance de droite à gauche dans un grincement sinistre. Les deux hommes me regardent , l'air peu rassuré quand soudain, Tristan semble être pris d'une douleur incontrôlable. Il se tient la tête, se voûte et grogne. Nous l'observons, interloqué. Il recule et se cogne contre la commode derrière lui, le vase posé dessus qui contient des fleurs fanées s'écrase sur le sol.

Je souhaite m'approcher mais le prince tend son bras pour me bloquer le passage.

— Non ! Nous devrions en profiter pour nous enfuir.

Cependant, la porte saute sur ses gonds lorsqu'on y frappe violemment. Nous sursautons et nous tournons à présent vers la porte en bois, peu robuste pour retenir n'importe quel ennemi.

— Ouvrez cette porte Enchanteur ! Votre fille a disparu avec le prince et l'une de ses prétendantes. Le château est à présent sécurisé, mais nous pensons qu'un Changeur de Peaux  les a enlevé... ouvrez ! Ici la garde royale !

— Ouvrons ! Ils arrêteront le Changeur de Peaux ! S'enthousiasme le prince.

Il s'aide de sa canne pour avancer et grimace chaque fois qu'il pose le pied par terre cependant je me poste devant lui.

— On ne sait pas si c'est bien la garde royale...

— Bien-sûr que si ! Vous avez entendu ce qu'ils ont dit ?!

— Ce peut être n'importe qui votre altesse.

— Elle a raison, intervient Hélène.

Le prince lui jette un regard puis me regarde moi.

— Mais enfin... nous n'allons pas pouvoir rester cachés éternellement.

— Certes, mais nous regagnerons le château par nos propres moyens, rétorqué-je.

— Et comment fait-on si une autre Ombre Obscure ère dans la ville ?!  S'impatiente le prince.

Tristan nous rejoint, tout en tenant le mur. Il semble essoufflé, il transpire à grosses gouttes et son œil de serpent est bien plus vif que d'habitude.

— Elle a raison, balbutie-t-il. C'est pas la garde royale.

— Qu'en savez-vous ? Vous, Changeur de Peaux de pacotille !

— Je le sais...!

Tristan commence à crier mais se résigne tout en soupirant.

— Je le sais parce que je le sens... reprend-il plus calmement, derrière la porte, ce sont des êtres comme moi. Et ce qu'ils veulent, ce n'est pas toi, petit prince...

Tristan se tourne vers moi, alors Hélène et le prince font de même.

— ... c'est elle.

Invocatrice de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant