9. Espoir

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ADEN

Je me suis souvent posé la question de qui je suis. Qui je veux être, dans quel but ? Il y a des choses, des expériences, qui détruisent. Comment se relever quand on a été détruit ? Comment trouver la motivation de le faire ? Quel objectif se fixer ?

En vérité, je me suis souvent demandé si se relever était seulement possible ou si j'étais voué à rester prostré, un genou au sol, baignant dans ma souffrance intérieure. Beaucoup de personnes que j'ai côtoyées sont mortes. Parce qu'au fond, c'est pour ça qu'on choisit la guerre, la violence. Parce qu'on souffre. Quelles autres raisons peuvent expliquer qu'après avoir été mis à terre par une chose on saisisse sa main pour se relever ? Il n'y a aucune logique. Peut-être juste un espoir fou, celui que, cette fois, la mort ne nous loupera pas.

Je pousse un hurlement de rage. Un hurlement de colère. Un hurlement de tristesse pure. Parce que je suis un lâche. Parce que ça fait des années que j'espère enfin mettre un terme à cette mascarade, mais que rien n'est capable de dépasser ma volonté de survivre. Et ça me bute putain, ça me broie de l'intérieur.

Mais pire que cela encore. Bien pire, puisque depuis quelques jours, mon espoir n'est plus porté sur le fait que je finirais peut-être par crever à cause de mes choix de vies. Non, depuis quelques jours j'espère trouver le moyen de m'en sortir.

Une larme s'échappe de mes yeux pourtant si secs habituellement. Putain de merde. C'est ça qui me fait si mal. J'ai ENVIE de vivre. Je secoue la tête comme pour me débarrasser d'un insecte parasite, mais cette pensée, cette envie, n'est pas prête de partir.

Je suis un connard. Mort de l'intérieur à défaut d'entièrement. C'est pour ça que j'en ai rien à foutre. Je blesse, je transperce. Rien à foutre. Pas de sentiments. Des missions. Putain j'en ai jamais rien eu à foutre. Je me suis comporté comme un enfoiré la plus grande partie de ma vie. Sans chercher à me cacher, sans chercher à dissimuler ma souffrance, je l'expie en faisant souffrir d'autres personnes. Ouais, un vrai connard.

Je pensais que ça me permettait de garder la tête hors de l'eau, de survivre à ce qui me dévore. Je ne suis qu'un lâche. Pas seulement pour tout ce que j'ai cité auparavant, mais bel et bien pour me mentir à moi-même depuis des années maintenant. Torturer, trahir, tuer, ça ne me maintient pas en vie, ça ne fait que me pourrir encore plus. Mais finalement, c'est pour ça que je fais ce que je fais. Parce qu'au-delà de faire du mal aux autres, c'est surtout à moi que je fais mal.

Et c'est malsain putain, c'est toxique.

Qu'est-ce qui a changé depuis quelques jours ? Pourquoi je me rends compte que je suis un connard sans âme ? Pourquoi après m'avoir fuit pendant des années toute la culpabilité me rattrape ? C'est très simple en vérité. J'ai approché la lumière. Et j'ai compris que l'ombre ne me suffirait plus jamais.

Il y a des choses qu'on est incapable d'expliquer. Je suis capable d'expliquer ce qui m'a mené où j'en suis aujourd'hui, mais rien ne peut expliquer la douleur dans ma poitrine.

J'ai toujours pensé qu'il était impossible de se relever après ce que j'avais vécu. Mais un simple plongeon dans ses yeux et j'ai compris que la vérité c'est que je n'avais jamais essayé. Bien sûr que je suis brisé. Bien sûr que la douleur bouffe tout. Mais son regard... Son regard m'a prouvé que j'avais été lâche de croire que rester à terre était le seul moyen de continuer à vivre. Que blesser me maintenait en vie.

Je suis assis dans un coin de ma chambre. La nuit est sombre. Violente. Elle ramène à moi des souvenirs insupportables. Elle me dévore. D'habitude quand cette violence me submerge je sors. Je vais boire, baiser, me battre. Je trouve un exutoire, je fuis ce dont j'ai peur, ce qui me blesse, j'attaque d'autres.

Mais pas ce soir. En vérité, ça fait quatre nuits que je ne le fais plus. Je reste. Assis au sol à trembler et à affronter ce qui me bouffe. Parce que je l'ai jamais fait. Je n'ai jamais osé regarder mes peurs en face. Je ne pensais pas en être capable. Mais quand je veux abandonner, fuir, je revois son visage. La douceur de ses traits pendant que ses yeux sont ravagés par des douleurs dont je n'ai qu'entraperçu la violence.

J'ai lu son dossier. Lu une partie de ce qu'elle a vécu. C'est mon métier, mon rôle. Mais comment rester de marbre face à cette force de caractère ? Cette volonté dévastatrice ? Elle a chamboulé mon univers putain. Et je ne regrette rien. Comment regretter ? Elle m'a apporté l'espoir. Une nouvelle perspective.

Mais en même temps qu'elle m'apportait tout ça, elle m'a retiré ce qui pouvait me maintenir en vie, me transformer. Elle. La possibilité de la voir, de la toucher. J'ai été un imbécile de lui demander plus. Parce que dans l'état actuel des choses je suis incapable de lui donner quoi que ce soit. Parce que l'approcher de trop près serait la mettre en danger. Parce que je ne suis pas quelqu'un de bon et parce que sa simple présence me fait dérailler. 

Comment expliquer autrement le fait qu'au lieu de simplement l'observer comme j'étais censé le faire je lui ai littéralement sauté dessus ? Comment justifier le fait qu'encore aujourd'hui, alors que je suis au bout du rouleau, tremblant, en sueur d'un cauchemar terrorisant, je ne pense qu'à elle ?

Je ne sais pas ce qui m'arrive, je n'ai jamais été très censé. Je n'ai jamais résisté à la tentation quand elle se présentait. Mais cette fois c'est différent. Ce n'était pas une simple tentation à laquelle j'aurais cédée. J'ai ressenti cette rencontre comme un saut dans le vide. Ni plus ni moins que cette sensation à la fois effrayante et grisante. Quelque chose dans son regard m'a attiré comme la flamme attire un papillon. Et ça peut paraître particulièrement stupide mais je la laisserai me brûler si c'était ce qu'elle souhaitait, je la laisserai me consumer entièrement. 

Je devrais sûrement avoir peur de ça, mais ce n'est pas ce qui me préoccupe le plus. Non, ce qui me préoccupe c'est que d'autres se rendent compte du changement dans ma perception des choses et ne décident de prendre le relai et finissent par lui faire du mal.

Je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle sache se défendre mais le simple fait de l'imaginer affronter de nouvelles souffrances me heurte comme peu de choses en sont capables.

Ça me détourne de mon passé, elle m'en éloigne. Son simple souvenir me permet de garder le cap et même si je sais qu'elle est inatteignable le simple fait qu'elle existe transforme mon monde. Oui c'est con, et non il n'y a rien de logique à cela, rien d'explicable. Mais au fond, je m'en tape. Je ressens de nouveau pour la première fois depuis cinq ans, et tant pis si ces sentiments ne devraient pas exister. Sont un risque, une erreur. Ils représentent pour moi un espoir. Un espoir fou, dangereux.

Et c'est avec cet espoir, ce léger flottement au sein de mon estomac que je ferme les yeux. Et lentement, toujours dans la contemplation de son léger sourire provocateur et de son regard assombri par le désir, je laisse un doux sommeil m'emporter, bercé par le plaisir et le désir plutôt que la peine et la souffrance. Peut-être que je ne la reverrais plus jamais, mais toujours, son souvenir m'accompagnera.

Je me réveille en grognant à cause de la douleur qui me lance dans le dos. Aïe, je suis vraiment un imbécile. Dormir contre un mur, il faut être idiot. Je me relève en grimaçant et m'étire lentement. Le réveil n'a pas encore sonné mais il est suffisamment tard pour que je ne pense pas à aller me recoucher.

Je commence toujours mes matinées par une séance de sport, vital pour me maintenir en forme et me défouler. Alors que j'enchaine les exercices, perdu dans mes pensées, j'entends la sonnette résonner dans l'appartement. Je regarde l'horloge murale. Mercredi ? Déjà ? Putain j'avais pas vu le temps passer. Je soupire et passe ma main dans mes cheveux rendus humides par l'exercice.

Je me dirige vers la porte et l'ouvre. En face de moi se tient un jeune homme rayonnant.

— Salut vieille merde, qu'est-ce que tu fous à poil ? J'interromps rien au moins ?

Je grogne. Quel connard.

— Entre et ferme-la, Jamie.

Il me balance un grand sourire.

— Ça marche pour moi. Je t'ai pris des croissants.

Je ferme la porte. Me voilà de retour dans le monde réel. Je déteste ça.

Give Me MooreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant