12 février 2020
L'hôpital avait toujours fait peur à William. Les gens qui pleuraient, le visage ravagé par l'anxiété. Ceux, blessés qui attendaient en serrant les dents. Les soignants, médecins et infirmiers qui couraient dans tous les sens au milieu de murs trop blancs.
Le pire était sans doute l'odeur. Celle du désinfectant qui agressait son nez et laissait pendant longtemps un relent âcre dans sa bouche ; William l'associait au parfum de la mort.
Alors attendre en serrant ses mains dans les siennes de longues minutes qui s'étiraient infiniment lui donnait le tournis. L'heure du rendez-vous était passé de dix minutes. À côté de lui, sa mère soupira. Son manteau rouge attirait tous les regards dans cet océan de blanc, comme un oasis de normalité dans cet endroit où l'on fréquentait la mort en tenue immaculée.
— Bonjour, William est ici ?
L'adolescent leva la tête vers un homme habillé en civile sous une blouse blanche. Il abordait un sourire professionnel, qui se voulait avenant. William le trouvait crispé et forcé, il ne faisait même pas pétiller ses yeux menthe. Ses parents quittèrent leur chaise pour le suivre et le blondinet leur emboîta le pas à contre cœur.
Ils entrèrent dans un bureau au bout d'un couloir et le médecin les fit s'assoir sur des chaises avant de les saluer. Le petit blond écouta ensuite l'homme leur faire part du bilan.
— Après les dernières analyses, nous pouvons affirmer que William présente bien tous les symptômes d'un trouble bipolaire. Il n'est sûrement pas récent mais diagnostiquer ce trouble prend beaucoup de temps, il est souvent confondu avec la dépression et entraîne de mauvaises prises en charge.
William avait arrêté d'écouter le médecin. De toute façon, il ne parlait qu'à ses parents qui avaient l'air réellement choqués. Bien sûr qu'il savait qu'il n'était... pas normal. Il avait toujours vu les choses différemment, dans une myriade de couleurs, oscillant entre les nuances de gris et les couleurs chaudes et enivrantes. Mais son monde était en majorité de la douceur des pastels.
Sa dernière plongée dans les dégradés de couleur remontait à quatre mois. Il était resté cloué au lit pendant quatre jours. William ne voyait plus que du gris. Tristesse, fatigue, absence de motivation et d'appétit. Remettant sa vie et le monde en question, il s'était vu sombrer dans un abysse aussi noir qu'un ciel sans étoile.
Quand il avait enfin émergé, ses parents l'avaient traîné à l'hôpital, inquiet de l'état de santé de leur cadet. C'est là que tout avait commencé : les questions, les examens et les innombrables rendez-vous. Face à toutes ces professionnels de santé, il se sentait malade pour la première fois de sa vie. Avant il ne se posait pas de questions, il vivait en décalage sans soucis, sans douter, sans se sentir malade.
Parfois il suscitait la perplexité quand il passait sans réelle transition de l'adolescent timide et renfermé à un garçon plein de vie, de risque, aux idées folles et à l'envie irrésistible de rencontrer de nouvelles personnes. Mais jamais personne ne l'avait regardé comme s'il avait un problème. Quand le monde devenait gris, ses amis se disaient simplement que quelque chose le tracassait. Il n'était pas malade, si ? William ne voulait pas finir sa vie dans un asile, il n'avait même pas encore dix-sept ans. Il était anormalement normal mais est-ce que cela faisait pour autant de lui quelqu'un dont il fallait avoir peur ?
Alors que le médecin expliquait à ses parents les phases du trouble qu'il ne connaissait que trop bien, le blondinet éclata soudainement en sanglots.
— Je veux pas aller en asile !
Son ton implorant fit se tourner le médecin vers lui alors que son père le prit dans ses bras.
— William, tu n'irais pas en hôpital psychiatre. Depuis combien de temps vis tu avec ta bipolaire ?
— Je ne sais plus, longtemps sûrement.
— Donc tu vis avec ce trouble sans qu'il ne te mette réellement en danger. Peut-être considères tu qu'il fait partie de ta personnalité ?
L'adolescent releva la tête vers le cinquantenaire aux cheveux grisonnants. Était-il possible qu'il le comprenne ? Ses larmes se tarirent et il hocha la tête.
— Oui...
— Ce que tu dois comprendre c'est que le trouble bipolaire peut être dangereux et mener certaines personnes au suicide. Nous ne faisons pas tous ces tests depuis des mois pour t'embêter. Sans traitement, tu peux devenir un danger pour les autres comme pour toi même. C'est ce que nous voulons éviter. Personne ici ne te voit comme quelqu'un à enfermer.
Une vague de soulagement en même temps qu'un ouragan de peur remua intérieurement William. Jamais il n'aurait pensé que toutes ses couleurs puissent être source de danger. Au moins on ne le voyait pas comme un fou. Le médecin le rassura un long moment, lui expliquant son trouble et son traitement jusqu'à ce que ni lui ni ses parents n'aient plus de questions.
Dans la voiture qui le ramena chez lui, on écouta le silence. William serrait son téléphone entre ses mains. Comment le dire à Maxime ? Allait-il avoir peur ? Il savait qu'il avait rendez-vous à l'hôpital cette après-midi, il allait forcément poser des questions. Le jeune homme lui avait caché tous les rendez-vous mais celui-là était tombé pendant les cours, il a n'avait pas eu le choix que de lui dire qu'il devait aller à l'hôpital.
De William
Je... A l'hôpital on m'a dit que j'étais bipolaire.
18h44Attendre la réponse sembla être une épreuve plus dure que ces derniers mois d'analyse. Quand son téléphone fini par vibrer entre ses mains, il hésita à lire le message. Inspirant profondément pour se donner du courage, William déverrouilla l'appareil.
De Maxime
Je sais, j'avais compris depuis longtemps. Je pensais que tu le savais aussi.
J'espère que tu ne penses pas que je vais te lâcher comme ça.
18h49D'un coup de manche, il essuya les larmes qui roulaient sur ses joues, un sourire aux lèvres.
— Tout va bien mon chéri ? demanda sa mère en le voyant pleurer.
— Oui, je vais très bien.
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Évidence
RomanceLa première fois que je l'ai vu, je crois que j'ai compris ce qu'était un coup de foudre. • Histoire courte : 10 chapitres • Chapitres entre 700 et 1600 mots