Jeudi 4 mai 2017

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Je ne croise presque plus Miki depuis notre petite entrevue en retenue. Elle semble m'éviter, ce dont je ne vais certainement pas me plaindre, mais cette nouvelle situation me paraît étrange, presque irréelle.

Voilà bien cinq ans qu'elle reste constamment derrière mon dos, à critiquer, rire ou même frapper, et d'un coup, plus rien.

Je vois bien que ses amis m'observent—tout particulièrement Emilio—aussi affamés de violence qu'un lion peut l'être d'une biche. Mais lorsque Miki s'en rend compte, elle fuit le plus loin possible, entraînant à sa suite sa troupe de moutons qui ne voudraient surtout pas la perdre des yeux.

Aujourd'hui fait partie des jours où je ne les ai pas vu du tout, à l'exception de Tom qui se trouve dans ma classe.

En temps normal, je m'attendrais à ce que toute la petite bande me saute dessus à n'importe quel moment, seulement je commence à penser que cela n'arrivera plus.

Ma mère semble remarquer que je ne rentre plus constellée de bleus et me le fais savoir par sa bonne humeur écrasante.

Ce matin encore elle me chantait mes louanges, expliquant à quel point je devenais grande et mâture, moi qui n'essayais plus les pratiques dangereuses que tous les ados aiment à faire, comme le skate ou la moto.

Au fond, j'apprécie son innocence. Je ne pourrais pas gérer la situation si elle savait.

J'aime penser qu'elle et moi, on peut vivre une vie aussi normale que possible, en laissant derrière toutes les horreurs de l'école.

Et puis, on doit déjà surmonter la mort de papa. Je ne veux pas l'embêter avec des broutilles qui, je le sais, n'en sont pas.

C'est donc ainsi que je quittais la maison ce matin, couverte d'honneurs et l'étiquette de l'enfant parfait collée au front, espérant que ce paradis dure un peu.

Et pour l'instant, mon souhait semble d'exaucer.

Plus besoin de slalomer discrètement entre les élèves pour entrer au lycée.

Plus besoin de s'assurer que Miki ne se trouve pas dans les parages pour m'installer au self.

Plus besoin de surveiller mon sac comme un précieux diamant pour ne pas me le faire vider.

Et ce soir, je passe en ville. Les délicieux cookies en promotion du magasin le plus proche me tendent les bras.

La simple idée de mon futur goûter en réveille mon estomac. En plein cours, dans un silence gênant, une trentaine d'élèves surprennent son grognement de protestation affamée. Je récolte quelques rires et le regard mauvais de la professeure.

Heureusement, l'heure du repas se rapproche. Au premier tintement de la sonnerie, me voilà déjà quasiment hors de la salle. Et dans ma course effrénée pour le goûter, une horrible voix me ramène au monde réel.

Miki m'appelle, ses chaussures à talons claquant prestement le sol.

Je me fige. J'hésite entre fuir et l'ignorer.

Finalement elle me rattrape, essoufflée, et me regarde, ses mains appuyées contre ses genoux, cachant à moitié un bleu sur sa jambe gauche.

"Ne... Jamais courir en... Talons, bafouille-t-elle.

- Qu'est-ce que tu veux ?"

Miki se redresse, le regard fuyant. Elle ouvre la bouche pour parler, puis s'abstient.

Je regarde son petit numéro sans comprendre, attendant sa requête qui, semble-t-il, ne viendra jamais.

"Je me disais... Tu... Tu peux me donner les devoirs de Français qu'on a noté hier ? "

Me voilà scotchée. Le Français est le seul cours qui nous réunis dans la même salle. La matière — qui s'appelle par ailleurs une spécialité — rassemble deux classes : la sienne et la mienne.

Ce qui veut dire que Miki peut tout à fait demander à n'importe qui d'autre les cours qui lui manquent.

"Heu, d'accord."

Je sors mon agenda et le lui présente à la page de demain, qu'elle prend aussitôt en photo.

Puis, sans un merci, elle se retourne et s'éloigne plus loin possible.

Au loin, j'aperçois Emilio qui l'attend. Ensemble, ils prennent la même route. Pas celle qui mène chez Miki, mais plutôt chez Emilio, sans doute.

Par Le PasséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant