Chapitre 6

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Il avait juste réussi à sortir de la boîte le cœur battant, avant de grogner et de passer une main frustrée dans ses cheveux. Il n'était pas resté une heure, il faisait tâche à sortir alors que tout le monde voulait rentrer, mais il n'en avait rien à faire, il marchait tête baissée jusqu'à une station de métro, la première qui l'emmènerait à Paris-Nord pour prendre le RER. Il voulait juste se vider la tête, rentrer chez lui, l'oublier.

Les lumières jaunes artificielles du métro lui donnaient mal au crâne. Il était le seul dans son wagon, assis sur un strapontin grinçant, le regard détaillant le sol gris tâcheté, ses écouteurs vissés dans les oreilles. Il avait environ une heure pour se calmer et penser à autre chose, s'il n'y arrivait pas, il allait tourner en rond dans son appartement et ça revenait au même.

Quand il arriva à attraper son RER, il le remarqua à peine plus habité que celui du métro, principalement par des adolescents, mais il restait assez calme. Les voix étaient basses et lentes. La fatigue flottait et personne ne semblait vouloir briser cette bulle. S'il ne fixait pas la vitre qui laissait entrevoir les paysages défilant à mille à l'heure, il se concentrait alors sur l'indémêlable nœud du fil de ses écouteurs qui pendait devant lui. Parfois il préférait la nostalgie des écouteurs filaires aux nouveaux écouteurs. Rien ne les retient, s'ils tombent c'est fini et cela ressemblait un peu trop à Nabil. Il n'y avait même pas de musique qui venait faire vibrer ses tympans, sa courte playlist Spotify terminée depuis un moment, mais il aimait ce sentiment d'être sous l'eau alors que le reste du monde naviguait en haut des vagues. Dans les ombres, là où le bruit est étouffé pour te laisser avec toi même, on ne peut te lire ou essayer de te déchiffrer, et Nabil ne se reposait que sur ça. Un visage de marbre et des phrases simples et courtes.

Le train s'arrêta lentement sur un quai vidé. Les lampadaires jaunes peignaient de leur lumière les bancs sales et gravés. C'était son arrêt et il était visiblement le seul à descendre ici, les autres passagers toujours assis sur leur siège: l'un d'entre eux avait la tête posée contre l'épaule d'une rouquine qui ne lui prêtait aucune attention. Elle écoutait distraitement ce que disait son amie, préférant perdre son regard clair de l'autre côté de la vitre.

Il sortit, les mains dans les poches et un soupire au bout des lèvres. Chaque pas était silencieux, il ne releva pas son regard une seule fois, absorbé par le rythme de sa démarche. Ce n'est qu'une fois devant la porte en verre de son immeuble qu'il la releva. Des teneurs de mur étaient debout dans le hall, à parler de manière agitée, des bras s'envolaient en l'air et des voix s'élevaient. Il mis un terme à cette scène en ouvrant la porte. Toutes les têtes se tournèrent pour déposer leurs regards curieux sur Nabil. Il ne prit même pas le temps de les toiser qu'il marchait déjà d'un pas vif vers les vieux escaliers polis à la force du temps. Il les enjamba deux à deux, se pressant presque pour se confiner dans son appartement. Il refusait de croiser le regard de ne serait-ce qu'une autre personne ce soir. Il détestait l'admettre mais il était à fleur de peau, tout était trop quand il la recroisait. Et même s'il essayait de se persuader du contraire, à chaque fois, il savait qu'il était plus que faible dans le fond. 

Avec toutes ces idées en fusion au coeur de son âme, il ne se rendit pas compte qu'il avait claqué la porte derrière lui. Il souffla et se déchaussa à la va-vite dans l'entrée, laissant en bordel sa nouvelle paire de Nike. Quiconque entrerait sans faire attention au sol, se verrait déséquilibré. La pénombre s'était engouffrée dans l'habitacle, il avançait donc à la simple lumière de lune jusqu'à sa chambre. Même à l'intérieur il ne fit rien, pas une once de lumière artificielle ne venait trahir ce calme intemporel. Il se contenta de s'allonger sur son lit, le dos posé sur les couvertures fraiches et le regard fixé au plafond. Des vieilles fissures traversaient en large la plaque de plâtre, cassant son côté blanc désinfecté. Un papillon de nuit virevoltait dans l'unique bande lunaire offerte par sa fenêtre. Son souffle se calmait et il espérait que le sommeil allait l'emporter, fermer définitivement ses lourdes paupières et couper court à ses pensées nocives. Il attendit donc, sans notion du temps, le marchand de sable.

Sprezzatura // N.O.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant