Chapitre 4

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Mars 2012

La porte claqua derrière eux alors qu'ils avançaient à l'aveugle dans la pièce. Les pas étaient hasardeux et peut-être un peu pressés mais leurs mains l'étaient tout autant. Ils se cherchaient dans la pénombre, le bout des doigts sur une peau brûlante et le souffle saccadé contre un cou. Leurs regards se croisèrent et s'évitèrent, un jeu qu'ils connaissaient parfaitement, et les corps se poussaient, se repoussaient tout en s'attirant. Rien allait, la tête tournait, des frissons se perdirent mais tout semblait dans l'ordre. Finalement le lit fit office d'obstacle et les força à basculer en douceur sur la surface froide et souple. L'ambiance changea à nouveau. Ils étaient parfaitement aligné avec la lumière bleuté que procurait la fenêtre, un courant d'air les entourait et la température tomba un peu. La douceur prit petit à petit place dans la chambre et le bruit autour s'étouffait.

Il baissa la tête, ne soutenant plus son regard et dessina la courbe de son cou avec ses yeux. Ses lèvres ne demandaient qu'à se poser sur la peau douce qui s'offrait à elles. Il suivit son instinct et goûta à ce qui lui paraissait interdit. De légers baisers étaient répartis sur différentes surfaces du cou, faisant vibrer la fille en dessous. Il remonta à ses lèvres entre-ouvertes et en prit possession. Il était bien moins brutal qu'avant, il la suivait, il ne dominait pas. Un réel jeu à deux. Ses yeux étaient clos, comme les siens, et leurs sens se développèrent. Chaque souffle et touché n'avaient jamais été autant ressentis qu'à ce moment précis. Leurs corps se rapprochèrent comme s'ils étaient des aimants, un besoin intense d'être plus près, la résistance y étant presque impossible.

Doucement, il dégagea l'épaule dessinée pour y accéder. Un frisson la fit trembler de désir. Il passa un doigt sur sa clavicule, il était fasciné. Il croisa son regard et comprit, il comprit que ces couches de vêtements recouvrant les deux corps fiévreux étaient de trop, presque l'objet d'une irritation. Il devait la débarrasser de son haut irisé comme il devait retirer son sweat bleu navy. Elle l'explora à son tour du regard, les yeux pétillants. Il s'abaissa à nouveau et recouvrit sa plus petite silhouette. Les mains délicates s'accrochèrent à ses épaules et tiraient, tiraient délicatement pour l'amener aux lèvres rosées.

Des gouttes heurtèrent silencieusement la vitre et rapidement les lumières extérieures se troublèrent. Cela n'empêcha pas les deux êtres de se confondre dans des mouvements lents et libérés de toutes pensées. Ils n'étaient pas harmonieux mais ils dansaient tout de même ensemble, des ondulations sur un océan de tissu fripé sous la poigne désespérée d'une jeune femme. Ils étaient dans une bulle, loin de là bas qui se trouvait de l'autre côté d'une fine cloison.

Là bas, il y avait des cigarettes écrasées sur les bords d'un balcon abandonné aux premières gouttes et des gobelets oubliés sur le sol maintenant inondé. Là bas, il y avait des corps, des ombres qui dansaient sur des mélodies assourdissantes mêlées à des cascades de liquides alcoolisés. Là bas, il y avait une bande entassée sur un canapé, riant aux éclats et modifiant les dynamiques entre chacun. Là bas, il y avait une fille sur son portable, accolée à un encadrement de porte, évitant à tout prix le regard insistant et ému d'un garçon dansant avec une autre. Là bas, il y avait trois garçons enfilés dans la salle de bain, fumant un joint dans une baignoire trop petite pour contenir les kilomètres de jambes. Mais là bas, ce n'était pas là et les atmosphères étaient finalement complètement opposées, presque paradoxales.

Les heures passèrent, la pluie s'arrêta, le bruit s'était complètement estompé, les souffles s'étaient apaisés et une porte se ferma quand le soleil projeta ses premiers rayons ambrés.

Un corps fin et dévêtu se trouva seul sous des draps inconnus. Les prunelles bleues regardaient l'oreiller déformé avec une émotion traduite par des larmes qui s'accumulaient au ras de ses longs cils. Sa respiration n'avait pourtant pas changée et aucun sanglot ne brisa l'immobilité de sa silhouette. Si on la percevait de dos, on pourrait jurer qu'elle dormait. Elle ne bougea pas son regard, pas une seule fois.

Le soleil s'élevait toujours plus dans le ciel immense et la vie là bas réapparaissait. Des râlements et des bruits de tasses contre une surface boisée retentirent mais étaient pourtant si lointains à ses oreilles. Là bas, ça chuchotait comme pour ne pas perturber l'aurore parisienne. Là bas, il n'y avait pas de larmes, juste une fatigue plaisante. Son portable vibra sur le sol. Elle ne bougea pas. On toqua timidement. Elle ne bougea pas.

-Agathe, t'es là?

La porte s'ouvrit. Un garçon s'approcha et s'assit sur le bord du lit, il la dévisageait.

-Il s'est passé quoi?

Elle ferma ses paupières et souffla dans un tremblement.

-Laisse moi Gab...

Il resta là, son regard prêt à se plonger dans celui d'Agathe. Elle ne l'évitait pas mais elle aurait sûrement dû. Quand les yeux innocents et inquiets rencontrèrent les siens, humides, elle ne put s'empêcher de les fermer avec violence. Les larmes salées fuyaient et Gabriel se mit à son niveau, un pouce sur une des pommettes d'Agathe, essuyant avec tendresse tout ce qui ne devait pas se trouver sur son magnifique visage. Un sanglot coupa le silence installé et le jeune homme s'empressa de la relever un peu pour la serrer contre lui, sa lèvre inférieure coincée entre ses dents. Elle tremblait dans ses bras et son coeur se brisait. Ses doigts passèrent dans les mèches brunes d'Agathe pour la réconforter, elle se calmait, peut-être. Il ne dit rien, il savait, du moins il comprenait la situation abstraite et il connaissait trop bien Agathe pour savoir que les mots ne sont pas un remède efficace aux maux émotionnels de la jeune femme.

Alors il resta assis sur le lit mal fait, le corps déchiré d'une fille dans ses bras, une main se voulant réconfortante dans sa chevelure. Il resta assis, l'aidant à s'accrocher.

Il était là et ça comptait peut-être plus que la présence de n'importe qui.

Lui, il était là.

Sprezzatura // N.O.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant