Sprezzatura // N.O.S

Chapitre 5

Nabil traînait des pieds jusqu'à sa porte d'entrée. Sa tête était encore complètement embrumée par ces retrouvailles absolument pas prévues. Il ouvrit la porte avec lenteurs puis la claqua dès qu'il se trouva dans l'appartement. Il entendait les voix de Tarik et Yanis dans le salon, ils devaient jouer à la console vu l'agitation. Il entra enfin dans le salon et se jeta sur la dernière place libre du canapé, à côté de Yanis, fixant la télé sans réellement voir les images qui défilaient. Il avait raison, une partie de FIFA était entrain de se dérouler entre les deux frères.

Elle avait changé, physiquement. Elle était plus grande, du moins elle en avait l'air, ses très plus fins mais il nota avec nostalgie que ses petites joues de bébé étaient toujours là. Elle était si belle, il n'en aurait jamais douté, mais ça ne le laissait pas indifférent et s'il avait eu la possibilité de scruter chaque détail de son visage, il l'aurait fait sans hésiter. Elle était comme la plus belle image de son passé et l'émotion qu'elle laissait au fond de son âme était inconfortable, il avait du mal à gérer. Ses mots résonnaient encore, elle avait toujours été très franche mais maintenant elle ne mâchait plus ses mots. Il ne pouvait jamais l'affronter, jamais comme ça, de court.

-Oh Nabil! Tu nous fais quoi là?

Le jeune homme releva simplement la tête pour pouvoir effleurer du regard le visage de son grand frère. Il n'avait pas de réponse à la question de Tarik.

-Rien.

C'est tout ce qu'il avait pu dire, de quoi agacer le plus vieux du duo qui le toisait.

-Sérieux t'es super bizarre frère il se passe quoi? T'as vu une vieille go qui te lâche pas ou quoi?

Nabil détourna aussitôt la tête et roula des yeux, d'où ça sortait ça? Il serra les poings et soufflait pour se calmer.

-Rien je t'ai dit putain!

Il se leva nerveusement pour aller dans la cuisine, boire un coup, juste revenir sur Terre. Il était énervé au plus profond de lui, après Tarik? Après lui? Il n'en avait aucune idée et ça le foutait hors de lui.

-C'est quoi ton problème?

La voix grave de son frère derrière lui ne le fit même pas sursauter. Il baissa simplement plus la tête comme par honte. Quant à Tarik, il était appuyé contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, épiant chaque mouvement de Nabil.

-J'te dis je sais pas, je suis énervé j'sais même pas pourquoi.

Il l'entendit soupirer, il disait partiellement la vérité et son frère n'était pas débile, il comprenait qu'on lui cachait des choses, mais il avait aussi compris que ce n'était sûrement pas le moment pour faire chier son binôme avec.

-Ce soir on sort. Lukas nous a fait entrer dans un club de la haute parisienne. Tu viens?

Nabil posa son verre et sortit un paquet de cigarettes de la poche de son jean délavé. Il se retourna, la tête un peu moins baissée.

-T'as du feu?

Tarik lui tendit l'objet rouge flamboyant. Alors qu'il allait lâcher prise il résista et soutenu le regard vide de son frère. Il le questionna du regard.

-C'est bon j'viens.

Et comme ça, il s'alluma une cigarette, appuyé contre le rebord de la table, à regarder la fumée qui s'échappait de sa propre bouche. Tarik était parti en silence, le laissant seul dans la pièce qu'il recouvrait lentement d'un brouillard de fumée toxique. Il aimait bien cette image follement abstraite, le mouvement des vagues blanchâtres dans l'air et leur irrégularité tout ça pour lui piquer les yeux. Oui, c'était agréable.

Il avait passé sa journée dans le vide finalement et sans s'en rendre compte, le ciel était déjà d'un noir d'encre. Evidemment il n'y avait pas d'étoiles, c'est dans les films ça, nan le ciel était juste noir, sombre et monochrome.

-Tu viens?

Lukas était arrivé en avance, pour grailler chez eux, et maintenant il pressait tout le monde pour y aller. Ils n'allaient jamais rentrer s'ils ne se bougeaient pas.

Honnêtement, Nabil n'avait pas réellement envie d'y aller. Ce n'était pas sa place, ces soirées de riches où ça puait le fric et la facilité, mais ils avaient tous l'air d'avoir envie d'y faire un tour et il était déjà assez chiant comme ça. Alors il avait dit oui, il n'avait pas réfléchi, il ne réfléchissait jamais, et maintenant il regrettait ses choix.

-Oh Nab?

Il hocha la tête et enfila sa paire de Nike. Il ne s'était pas changé, pour quoi faire? Il s'en foutait.

Ils arrivèrent devant le club, où déjà pas mal de monde semblait pas mal chaud. Des filles titubaient sur leurs talons alors que les garçons riaient aussi forts qu'ils pouvaient. Il n'avait même pas encore mis un pied à l'intérieur qu'il savait que la soirée allait être longue. D'ailleurs, à cette pensée, une jeune femme s'était précipitée vers son frère et le collait tout en riant d'une manière exagérée. Son rire niais donnait à Nabil une envie folle de lui en retourner une, mais il ne fit que rouler des yeux. Tarik savait très bien se débrouiller seul. Il ne semblait pas gêné des mains baladeuses sur son corps et des mots susurrés dans son oreille.

-Au fait! Tu dois être Nabil! Moi c'est Lodovica!

Qu'elle colle son frère est une chose, qu'elle commence à lui parler en est une autre. Sa voix crécelle l'énervait beaucoup trop. Il inclina juste la tête et laissa échapper un "ouais" histoire de répondre.

-T'es encore plus beau que ton frère! C'est de famille à ce que je vois.

Elle lui faisait des yeux doux, et à chaque mot il ne pensait pas qu'elle pouvait paraître plus conne.

Il doubla Lukas et se présenta devant le videur, les pass de son cousin en main. Le géant chauve le toisa et hocha simplement avant de s'écarter pour le laisser rentrer dans l'un des endroits les plus prisés de Paris. La musique faisait presque trembler le sol et les jeux de lumière faisait un peu tourner la tête du rappeur, il avait sérieusement besoin d'un temps d'adaptation. Il s'empressa de récupérer un carré VIP où il se vit se faire servir un gin tonique. Il bu son verre d'une gorgée et apprécia la sensation de brûlure qui traversa sa gorge. Le reste du groupe l'avait rejoint, commandant aussi leurs verres, Lodovica, s'il se rappelait bien, assise sur les genoux de Tarik. L'image lui donnait envie de vomir.

Les musiques passaient les unes après les autres pour ne laisser dans sa tête qu'une trace d'un vomis de sons et d'images beaucoup trop colorés pour qu'il en apprécie qu'une simple bribe. Il était assis au fond du canapé à traîner sur son portable ou à regarder la foule danser. Rien de tout ça ne lui donnait envie, peut-être que s'il trouvait une fille à son goût, bien formée, blonde aux formes généreuses et aux vibes sud américaines, peut-être qu'il s'ennuierait un petit peu moins. Mais en réalité, il n'avait même pas la tête à ça. Comment pouvait-il être autant retourné?

-Oh mon dieu!

La remarque aigüe et choquée de Lodovica lui fit lever la tête pour la fixer d'un mauvais oeil.

-Qu'est-ce qu'elle fout là celle-la!

Il s'en foutait mais par habitude il suivit son regard jusqu'à un coin du club. Il y avait un groupe de personnes et il ne savait pas pourquoi, certains ne lui paraissaient pas inconnus. Il fronçait des sourcils et tenta de regarder avec plus d'intérêt. Un grand brun amenait un verre à ses lèvres, une main dans la poche de son pantalon en toile. Son visage, il le connaissait très bien, trop bien, il savait ce que ça voulait dire. Il bougea la tête pour mieux regarder les personnes qui entouraient ce jeune homme. Il se concentrait, le mieux qu'il pouvait.

Elle était là, à ses côtés à rire aux éclats, un verre en main. Elle avait une si jolie silhouette dans sa robe satinée et sous les lumières elle transpirait le sexe. Elle repoussait une de ses mèches tombée de son chignon et dansait sur le rythme solaire. Alors qu'elle prit une gorgée de son verre, elle balaya la salle de son regard vibrant.

Il l'avait chopé, ils soutenaient le regard de l'autre. Son sourire disparu et une sorte de passion prit place, l'envoutant. Ses hanches suivaient toujours les mouvements de la musique et elle répondait toujours à ceux qui l'entouraient, mais elle ne lâchait pas son regard. Pas une seconde.