5 : Antha

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*** cyrilnicolai m'a fait remarquer, à juste titre, qu'Antha avait perdu son ton enfantin au fil des chapitres. Je suis entièrement d'accord et j'ai réécrit les chapitres d'Antha 2 à 4. Dites-moi ce que vous en pensez, si vous avez un moment ! ***

Le noir me fait peur, mais pas autant que les premières gouttes qui s'écrasent sur mon visage. Nous filons entre les premières maisons du village désert. Amel s'est mis à moduler des sons. Je lui chuchote de se taire, effrayée. Si quelqu'un l'entend faire, ce que les Anciens appellent "chanter", Padal va encore être obligé de le fouetter. Padal, il est gentil, il fait un peu semblant, mais quand même, ça rend toujours la famille triste quand Amel nous fait remarquer comme ça.

Nous traversons les rues, essoufflés. Tout le monde est déjà à l'abri, barricadé derrière les volets. Dans l'obscurité, je distingue à peine les maisons aux murs de terre. Elles sont surplombées de longs toits pentus destinés à supporter les pluies diluviennes. Les fossés creusés autour seront bientôt dévalés par l'eau boueuse. Même les entlors et les petits natimis ont été rentrés dans les étables. Padal et Mamlal doivent être fou de terreur pour nous ! J'espère qu'ils ne nous cherchent pas dehors !

Nous arrivons en courant sous une pluie drue et nous pataugeons déjà dans les premières flaques. Le parcours des garçons se dresse devant nous. Pour couper court, je le traverse sans réfléchir. Des barrières pas si hautes que ça, pour mon âge : je saute facilement. Contre toute attente, Amel me suit : s'il esquive une bonne partie des obstacles à grimper, il enjambe quelques poutres. Il n'est pas si empoté que les gens le disent, mon petit frère !

Je n'ai pas le temps de m'en réjouir : le ciel s'ouvre dans un roulement de tonnerre. La pluie devient plus pire qu'une grosse toile de jute épaisse. Je suffoque !

Encore quelques rues, je crois : on n'y voit vraiment plus rien. Je balaie l'air devant moi et avec mon autre main, je serre le poignet d'Amel. J'ai trop peur qu'il panique et se sauve ! J'ai le ventre tout noué. Mais, pour mon petit frère, je dois vaincre ma peur.

Notre course éperdue devient glissante. Les rafales nous cinglent le visage avec de la terre gorgée d'eau. Nous esquivons des branches et des objets impossibles à identifier dans cette nuit tempêteuse. Je suis terrifiée mais je ravale tout ça au fond de moi. Je dois y arriver.

Il y a une grosse lumière, devant moi !

La porte de la maison !

Je tambourine pour qu'on vienne nous ouvrir, mais je n'entends même pas le bruit de la barre que l'on enlève de l'autre côté du battant : le vent siffle trop fort à mes oreilles.

Padal nous ouvre. Nous déboulons, échevelés et trempés, dans la pièce commune. Notre père, il lutte pour refermer la porte poussée par les bourrasques. Mamlal nous enlève déjà nos vêtements alourdis par la boue. Nous voilà enveloppés dans une grande couverture. 

Mon frère grelotte, mais se tortille pour échapper à notre mère. Il n'aime pas qu'on le touche ainsi. Moi, je tremble de froid, mais je ne pense déjà plus à l'orage, je suis tellement excitée, que je crie, plus fort que la pluie qui martèle le toit :

- Amel a traversé des bouts du parcours !

Mes parents échangent un coup d'œil sceptique. Près de la cheminée, mes grands-parents froncent les sourcils. Eux non plus, ils n'ont pas l'air très convaincus.

- C'est vrai ! protesté-je. J'ai voulu couper par là pour rejoindre la maison. Il a sauté par-dessus les poutres et a évité les plots et...

- C'est bien, mon petit natimi, me calme Mamlal avec le surnom affectueux que je connais bien. Viens près des flammes, ça va te faire du bien.

Elle parait plus préoccupée par mes cheveux qu'elle essore d'une main experte. Je jette un coup d'œil à Amel, déçue. Si nos propres parents ne croient pas en lui... Je sais déjà ce qu'ils pensent tous : passer quelques bûches ne permettra pas à mon petit frère de suivre tout le parcours sous les encouragements... ou les quolibets.

AdelphesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant