13 : Antha

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Chaque pas m'a arraché une grimace. Mon dos me lance atrocement. Mamlal m'a enduit chaque plaie d'un emplâtre cicatrisant, de feuilles de consoude. Sauf que je n'ai pas le droit de bander les coupures. Je n'ai pas non plus le droit d'utiliser les flammes pour me soigner plus vite. Tout le monde doit savoir que j'ai été mauvaise. Alors, les marques du fouet sont à vif. Ma robe a été changée mais doit déjà être imbibée de sang frais.

Mais je m'en moque.

C'est la nuit, maintenant. Je me suis équipée d'une torche et je traverse la plaine pour retrouver Amel. Il m'a obéi. Je ne l'ai pas vu au village de la journée. Il n'a pas assisté à ma sentence. L'Adorateur a tenu lui-même à rappeler à tous combien une fillette se devait de se montrer humble en ne dérangeant pas les Anciens pour des broutilles. Padal n'a rien pu faire : il a dû me voir recevoir dix coups francs en place publique. C'est un supplice habituellement réservé aux adultes qui font une très grosse bêtise.

Peu importe. Parce que ça en valait bien la peine.

Je tremble tant je suis épuisée, mon dos me brûle, mais je ne veux pas rester là-bas. Je ne veux plus les voir, tous. Et puis, j'apporte un vrai repas à Amel. Ma torche m'éblouit. Je vois à peine où je mets les pieds. Heureusement que les runds dorment, à cette heure, parce qu'ils aiment bien l'odeur du sang.

De loin, j'entends mon petit frère chanter. Je frémis en me rappelant des menaces de l'Adorateur. Sol soit loué, la mélodie ne doit pas parvenir au village.

Amel est allongé par terre, les yeux perdus dans les étoiles. Il a mis ses petits cailloux tout autour de lui, en cercle. Ils brillent à la lueur de ma torche. Il n'a pas allumé de feu. Je ne sais pas comment il fait pour ne pas se transformer en Ombre, lui. C'est vrai qu'il a des côtés mystérieux, quand même. Bon, ce qui le rend beaucoup moins mystérieux, c'est qu'il a le visage barbouillé de jus de fruits sauvages. Au moins je sais qu'il a mangé un peu aujourd'hui !

D'ailleurs, il ne semble pas très intéressé par la galette au fromage et la gourde que je lui apporte. Il continue à déverser sa mélopée vers les cieux, comme si je n'existais pas.

Je m'assois en gémissant malgré moi. Mes blessures me lancent horriblement. Je n'ose pas m'allonger. J'ai mal à la tête. L'estomac noué. Envie de vomir. Je me relâche enfin. Du coup, mes yeux se remplissent de larmes. Je ne veux pas pleurer. Mais c'est plus fort que moi.

Je ne regrette rien. Seulement, ce n'est pas juste. Les Anciens, ils sont méchants. Mes parents, ils ne font que me dire de me taire et, eux aussi, ils courbent l'échine. Je ne supporte plus, tout ça. J'étouffe. Depuis toujours, j'ai ce sentiment. Mais là, je n'y arrive plus. S'il n'y avait pas Amel, si je n'étais pas trop petite pour survivre toute seule, je partirais. Là, maintenant, tout de suite. Je partirais loin. Je partirais jusqu'au bout du désert. Pas chez les Silbériens, ils sont cruels, eux aussi. Mais toute seule, dans le sable chaud. Je suis sûre que Sol me guiderait. Sol, il doit bien voir dans mon cœur que je veux juste qu'on nous laisse tranquilles, mon petit frère et moi.

Soudain, je sursaute : Amel a pris ma main et posé un caillou dedans. Ensuite, il se lève et reprend le chemin du village. En silence.

Je refoule ma tristesse. Je refoule mes peurs. Il est très fort, mon petit frère !

Ma colère s'éteint pour laisser place à la détermination.

J'esquisse un sourire et le suit sans mot dire.

Si j'ai moins mal, je sais déjà ce que nous allons faire demain ! 

AdelphesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant