Il fait froid, dehors. J'aurais dû prendre ma cape. Tant pis : au moins, j'ai remis mon foulard sur ma tête, on ne pourra pas dire que je manque de respect aux Anciens. Une fois, il y a un petit garçon qui avait découvert ses cheveux devant eux, eh ben, il l'a regretté !
Le village est désert. Mes pas sont pourtant légers, mais j'ai l'impression qu'ils résonnent sur le sol qui a déjà séché. Mon cœur aussi, il me casse les oreilles, tellement il tape fort dans ma poitrine. J'avance aussi discrètement que je peux. Après quelques rues sombres, je vois apparaître la masse noire de la maison Soleil.
J'essaie de me persuader du contraire, mais je suis terrorisée. J'essuie mes mains moites sur ma robe. Ma chandelle éclaire une grande porte de bois gravée de motifs ésotériques. Ces dessins représentent des rayons brûlants. J'attends en me mordant la lèvre.
Malgré moi, je fais un bond en arrière, quand le battant s'ouvre. Les Anciens, ils méditent tout le temps, mais ils répondent toujours. Je me dépêche de me pencher en avant en signe de déférence. Je n'ai même pas vu qui a ouvert. Mais je n'ai pas le droit de regarder comme ça ! Alors, j'attends qu'on me dise de parler. Normalement, les Anciens doivent recevoir et écouter tout le monde, mais ça m'étonnerait que beaucoup d'autres petites filles aient tenté de les rencontrer toutes seules.
Je sens une main qui se pose brièvement sur ma tête. Ça veut dire que je peux m'exprimer. D'abord, je panique : aucun son ne sort ! Puis ma voix se fait entendre, toute déformée par la peur :
— Fille de Sol, je sollicite une audience avec l'un de ses serviteurs. Je vous implore humblement d'accéder à ma requête.
Bon, j'ai dit tous ces mots compliqués dans l'ordre, alors je crois que ça va.
— L'audience t'est accordée, mon enfant, entre.
Cette réponse-là, elle aurait pu être sympathique. Mais elle a été prononcée avec beaucoup de mépris. Je relève les yeux et je frémis : c'est l'adorateur de Sol ! Je déglutis. J'aurais préféré n'importe qui d'autre !
Je le suis le long d'un petit couloir éclairé de torches. Nous rentrons dans une salle basse, décorée de soleils brillants. Au centre, un brasier rougeoyant repose dans un immense vase doré. Je me balance d'un pied sur l'autre. L'Adorateur de Sol, il s'est assis sur un gros coussin comme il y en a partout autour du foyer. Moi, je crois que je n'ai pas trop le droit de m'installer. Je me ferais beaucoup gronder.
Le vieil homme me regarde avec un dégoût qu'il ne cherche même pas à dissimuler. Me mettre mal à l'aise, ça l'amuse, je crois. Il garde le silence et il me dévisage. Son sourire s'élargit : c'est un rictus que je trouve trop sadique. C'est un horrible Murmure ou un humain ?
Comme il ne dit rien et que je ne sais plus trop comment commencer, je le regarde encore. Il est habillé de blanc, c'est la couleur des Anciens. Sa peau dorée et ses cheveux roux brillent beaucoup à la lueur du feu : on dirait une statue de métal vêtue d'une longue robe. Je voudrais bien parler, mais je n'ose plus.
— Sors de là, si tu n'as rien à dire, susurre-t-il sans élever la voix. Je passerai voir ton père demain.
Pour le châtiment. Bien sûr. Bon, quitte à me prendre des coups auxquels je ne pourrai pas échapper, autant que ça soit utile !
— J'ai des questions sur le rituel des garçons.
Je reçois une grande claque. Je tombe par terre avec un cri et lâche ma chandelle qui s'éteint. Sans que je m'y attende, l'homme s'est jeté sur moi. Furieux, il a perdu toute contenance. Il me saisit par le foulard et les cheveux :
— Cela ne regarde pas les petites filles, me crache-t-il au visage. Tu devrais avoir honte. Tu jettes sans cesse l'opprobre sur ta famille. Ils auraient dû te livrer à l'ordalie depuis longtemps, comme le sera bientôt l'erreur qui te sert de frère.
Je tremble. Mais, bizarrement, plus du tout de peur : de colère. Il n'a pas le droit de parler d'Amel comme ça ! La tête renversée en arrière, parce qu'il me tient toujours fermement, je réplique :
— La loi de Sol exige que vous répondiez à mes questions ! La connaissance du premier rituel est ouverte !
— Les filles...
— La loi ne dit pas que ce n'est que pour les garçons ! Sol nous regarde ! Seule sa loi compte !
J'ai mis toute ma conviction dans mes mots.
L'Adorateur et moi, nous sommes tout seuls. Il pourrait aussi bien m'étrangler là et raconter ce qu'il veut au village. À voir sa tête, il en a d'ailleurs très envie.
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Adelphes
FantasyDu haut de ses huit ans, Antha a une conviction profonde : son petit frère, Amel, ne mérite pas de mourir. Pourtant, c'est bien à l'ordalie qu'il sera bientôt condamné, selon les règles du village. À Evrehal, être trop différent mène à la mort. Anth...