15 : Antha

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Je fais un effort pour rester consciente. Padalanth est revenu. Il s'entretient avec l'Ancien à voix basse. Mamlalanth est là aussi, finalement. Elle prépare du lait d'entlor épicé avec des gestes fébriles. Mais, l'Apprenti, il repousse le bol et s'agenouille près de moi. Je crie de douleur quand il dégage la couverture. Pourtant, il n'a fait qu'effleurer mes blessures. Padal m'aide à m'asseoir. L'Ancien soulève avec précaution ma tunique. Dans mon dos, le tissu est tâché de pus et de sang, alors les fibres collent à mes plaies suintantes. Je me mords la lèvre pour ne pas hurler, mais les larmes montent.

L'Apprenti est penché sur moi. Je tremble convulsivement sans parvenir à m'en empêcher.

Un silence choqué. Puis il soupire. Moi, je pleure de souffrance, de peur et d'épuisement cumulés.

— Au nom du Conseil, vous pouvez lever la sentence, déclare-t-il d'une voix tremblante. Je suis témoin qu'elle a été menée à terme.

Il a l'air horrifié par ce qu'il a vu. Il grimace et, en se redressant, il me regarde comme s'il hésitait.

— Tu es courageuse, pour une petite fille. Mais les lois sont une affaire d'hommes. Ne dérange plus le Conseil, c'est compris ?

Il a presque l'air de regretter. Peut-être que tous les Anciens ne sont pas aussi cruels que l'Adorateur ?

Je ne perds pas de temps à me questionner, je tends une main épuisée vers la flamme du foyer central.

Puis je commence à puiser mon énergie vitale.

***

Quelques heures m'ont suffi pour voir disparaitre les plaies. Ma peau est à nouveau lisse et pailletée d'or, comme si jamais le fouet ne m'avait blessée. Ma famille n'a pas caché son soulagement et sa joie. Mamlal m'a fait un bon repas que j'ai dévoré, affamée. J'aurais bien voulu savoir ce qu'était devenu Amel, mais j'étais trop fatiguée. Alors, je me suis effondrée malgré moi et je suis entrée dans une transe profonde.

Le feu me nourrit, bienfaisant. Une chaleur de vie intense. Rien à voir avec cette horrible moiteur étouffante liée à la fièvre.

Quand je rouvre les yeux, le soleil se lève. Padalanth marmonne la prière du matin. Bien sûr, il ne manque pas de remercier Sol d'avoir convaincu les Anciens de se montrer cléments avec moi.

Mon petit frère est revenu pendant ma longue méditation. Il mâche en silence une galette garnie de fruits secs. Il joue distraitement avec un caillou doré. Je sais déjà ce que nous allons faire dès qu'on nous laissera nous échapper !

En attendant, puisque je suis parfaitement remise grâce aux flammes et à mon long repos, je dois aider Mamlal à traire les entlors. Ensuite, je les sors dans l'enclos avec elle pour qu'ils paissent tranquillement. Il y a la grosse Lala qui ne fait que meugler pour que je lui gratte la tête. Je m'exécute, juste entre les cornes : je l'aime bien cette bête ! J'espère qu'elle va donner du lait encore longtemps, parce que je n'ai pas envie de la manger !

Amel brosse les longs poils beiges. Il faut prendre soin des robes, puisqu'après, on tond les entlors au printemps, pour fabriquer de grosses couvertures. Mon petit frère est aussi chargé de ramasser le crottin pour en faire du fumier. Je lui rappelle de faire attention aux gros sabots qui risquent d'écraser ses pieds nus, puis je le laisse se débrouiller.

Je dois aller aider Padal qui vérifie la croûte de nos fromages dans le hâloir. J'adore cette ambiance sombre et humide. Cette odeur gourmande qui picote le nez. Il fait frais sous terre et c'est agréable, après le soleil qui tape dans l'enclos des bêtes. Mon père ne me dit rien, mais je sais qu'il me surveille beaucoup plus qu'avant. C'est pour ça, qu'il m'a expressément demandé de le rejoindre après avoir fait mes tâches avec Mamlal. Il n'a pas trop envie de que je recommence à aller voir les Anciens ou une autre bêtise du genre !

La journée se poursuit dans le courtil où toute la famille se retrouve pour désherber et mettre de l'engrais. Nos légumes poussent là, tout autour de la maison. Quelques fruits aussi. J'en chaparde quelques-uns sous le regard bienveillant de Mamlalanth. Tant que je reste près de chez nous, ma grand-mère, elle est contente. Je sens que tout le monde est un peu inquiet à l'idée que je recommence à me faire remarquer. Pourtant, j'ai promis de ne plus embêter le Conseil.

Par contre, je n'ai jamais dit que je n'aiderai pas Amel.

AdelphesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant