Chapitre 2 : Charlie

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Charlie observa Léo changer de place. Avait-elle encore fait quelque chose de mal ?

La tristesse lui enserrait le cœur. Elle avait senti le désespoir qui émanait de Léo. Ce besoin de paraître suffisant, inaccessible, confiant. Tout était en trop, tout était calculé pour masquer quelque chose de douloureux, elle le ressentait.

Charlie avait le syndrome du sauveur, ou quelque chose comme ça. Si c'était directement lié à son passé et son enfance, elle aimait se convaincre qu'elle aimait simplement voir les gens heureux et qu'elle agissait par pur altruisme, bien qu'elle sache que ce n'était pas tout à fait le cas. Elle avait le besoin constant d'aider autrui et de se sentir utile : tout en elle aspirait les émotions des autres. C'était très fatiguant et en même temps, c'était ce qui la rendait vivante. Elle avait tendance à mettre l'humain sur un piédestal et avait la ferme conviction que chacun méritait de goûter au bonheur. Et tant pis si cela la poussait souvent à s'effacer pour laisser les autres briller.

Alors, elle ressentait déjà le besoin irrépressible d'aider Léo.

Néanmoins, elle laisserait le temps au temps. S'il avait senti le besoin de s'éloigner d'elle, alors elle le respectait. De toute façon, elle ne doutait pas qu'elle tarderait à rencontrer d'autres adolescents torturés. J'ai vraiment des pensées bizarres.

Elle observait silencieusement les terminales rentrer un à un dans la salle de classe. Ils paraissaient tous déjà avoir leurs marques et semblaient relativement à l'aise. De toute évidence, ils avaient conservé la même classe que l'an passé, ils semblaient tous se connaître. Une pointe d'angoisse lui saisit l'estomac. Parviendrait-elle à trouver sa place dans un groupe, pour une fois ?

Une adolescente se détachait néanmoins du lot. Avec sa peau caramel parsemée de taches de rousseurs, ses longs cheveux noirs ondulés, ses lèvres pulpeuses et ses vêtements oversize parfaitement accordés, elle semblait tout droit sortie de Pinterest. Ses petits yeux foncés papillonnaient d'un endroit à l'autre de la salle comme si elle analysait tout ce qu'il se passait. Elle ne parlait à personne et sortait clairement du moule. Charlie trouvait qu'elle ressemblait à une fée.

« Tiens, regarde Anastasia, chuchota une voix à sa droite. Encore un nouveau sac de luxe. T'as vu comment son Insta a explosé cet été ? Elle a plus de 100 000 abonnés.
- J'ai vu, elle fait des placements de produits et tout, appuya une autre. La thune qu'elle doit gagner ! Tout ça pour montrer ses beaux vêtements et raconter sa vie. »

Charlie plissa les yeux. Ça, elle ne l'aurait pas deviné. Ainsi, cette brune introvertie était une star des réseaux sociaux. Intéressant contraste, entre timidité évidente et besoin d'exposition. Il n'en fallut pas plus pour que son intérêt soit piqué.
Charlie alla de ce pas s'assoir à côté d'Anastasia, qui s'était installée devant, à l'écart du groupe. Le fait qu'elle soit seule aussi lui mettait moins de pression. Elle ne se voyait pas débarquer en plein milieu d'un groupe de copines bruyant.

« Salut, je m'appelle Charlie ! lança t-elle avec enthousiasme. »

Anastasia la toisa avec dédain. Pas le même air faussement condescendant de Léo. Non, une sorte d'ennui. Charlie se sentit un peu déstabilisée.

« T'es une abonnée ? demanda Anastasia comme si cela ne pouvait être que la seule raison que quelqu'un lui adresse la parole.
- Une quoi ? répéta Charlie. Abonnée ? D'Instagram ? Tu parles, j'ai même pas Facebook, pour te dire.
- Comment tu sais que je parle d'Instagram ? »

Charlie ouvrit la bouche pour répondre mais aucun son n'en sortit. Rares étaient les personnes qui parvenaient à lui clouer le bec. D'ordinaire, elle babillait sans cesse. Anastasia dégageait une certaine prestance.

« Bon, j'ai entendu deux filles dire que t'étais une influençeuse d'Instagram ou je sais pas quoi. Mais je m'en tappe, c'est juste que t'étais seule, moi aussi, je me suis dit, "hé, go être seules à deux !". Tout le monde se connaît, ça craint. Je sais pas me faire des amis, moi.
- T'as l'air d'avoir la parole facile, tu devrais pas trop galérer, rétorqua Anastasia, toujours sur la défensive, bien qu'elle semblait un peu plus détendue.
- Ah, ça, non. Je suis pas timide avec les gens introvertis, mais en face des extravertis, je deviens une crevette. Tu vois, les deux filles que j'ai entendues parler, elles me font trop peur, j'arriverais même pas à leur demander une gomme. »

Un sourire traversa le visage d'Anastasia. Un sourire avec des dents, même ! Victoire. En plus, elle était super belle quand elle souriait. Charlie se sentit soudain intimidée.

« Désolée, reprit Anastasia. Je suis matrixée par des filles qui m'ont dit que tout le monde allait sans doute venir vers moi avec un tout nouvel intérêt. C'était nul de ma part. Je sais même pas pourquoi je te dis ça, j'ai un peu honte de ma réflexion.
- T'inquiète. T'as pas d'amis dans cette classe ? demanda Charlie avec son tact légendaire. »

Anastasia se pinça les lèvres, comme si Charlie avait touché un point sensible. Mais elle se reprit rapidement et rétorqua :

« C'est un choix personnel, j'aime pas les gens. »

Menteuse. Si elle voulait se donner un air, tant pis pour elle. Charlie n'avait pas de temps à perdre avec les faux semblants. Mais elle ne voulait pas brusquer Anastasia. Alors elle enchaîna :

« Je vais organiser une soirée, vendredi soir. Avec les gens d'ici, pour connaître du monde, tout ça. Tu penses qu'ils viendraient ou je risque de faire un bide total ?
- Mmh.. »

Anastasia se retourna pour observer les gens de sa classe. Son dédain semblait réel, cette fois. Décidément, elle avait vraiment l'air de ne pas aimer les gens. Néanmoins, elle finit par soupirer.

« Tu parles d'ados de dix-sept ans. Evidemment qu'ils viendront.
- Je compte sur ta présence aussi, alors. »

Anastasia fronça les sourcils avec surprise. Charlie lui adressa un sourire rayonnant.

« Je suis pas très soirée... commença Anastasia. Encore moins avec ces gens.
- S'il-te-plaît ? Allez, ça pourrait être drôle. Comme ça, si ils sont vraiment nuls, j'aurais de la matière et on pourra les juger ensemble. »

Anastasia fixa Charlie droit dans les yeux comme si elle faisait face au plus grand dilemme de son existence. Et à sa grande surprise, elle finit par abdiquer.

"OK, je vais venir. Mais je passerai juste très rapidement."

Vu son air peu enchanté, Charlie prit cela pour une belle victoire. Elle inspira un bon coup et se remit à observer sa nouvelle classe. L'année lui réservait plein de surprises, elle le sentait. Anastasia avait un petit sourire en coin qui la rendait ravissante. Elle était vraiment belle, quand même. Charlie était une amoureuse de la vie : elle aimait la nature et les êtres vivants qui y foisonnaient, intrinsèquement. Alors, elle était le genre de personne à tomber amoureuse d'un regard. Mais aussi à oublier la personne le jour d'après. Bref, un mélange assez chaotique qui faisait des ravages - et souvent dans le mauvais sens du terme. Enfin, peu importe, elle s'intéresserait à ses déboires psychologiques plus tard. Une nouvelle vie l'attendait.

La vie est belleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant