Cette année, c'était l'année de Maëlle. Ni plus, ni moins.
Maëlle s'ennuyait, dans sa vie. Elle avait passé un été morbide, à rêvasser d'une rentrée où elle plaçait ses plus hautes attentes. Elle ne partait jamais en vacances en été. Pour certains, rester à Toulouse n'était pas une punition ; il suffisait d'avoir une bande de potes et l'été pouvait se révéler incroyable, même sans bouger. Mais à son grand regret, Maëlle n'avait pas vraiment de bande de potes. Elle avait un seul vrai ami, Kosta. Or, ils se connaissaient par cœur depuis le collège. Ils avaient vite fait le tour des sorties à faire à deux l'été à Toulouse, d'autant que Kosta s'était montré étrange ces derniers temps.
Maëlle avait donc tout planifié. Depuis qu'elle avait appris ce qui avait chamboulé son existence, c'était simple : son mot d'existence était carpe diem. Elle s'était donnée l'été pour se reposer pour l'année qui l'attendait. Car elle se l'était promis : en terminale, elle vivrait sa vie de rêve, digne des films américains.
Le problème, c'était Kosta. Maëlle était quelqu'un de plutôt sociable et extraverti, et n'avait pas trop de mal à se faire des amis. Mais chacune de ses nouvelles relations avaient été vouées à l'échec à cause de Kosta. Son meilleur ami se méfiait de tout le monde et avait un don pour dénicher les pires défauts aux personnes tout à fait convenables. Même si elle l'aimait de tout son cœur, Maëlle ne pouvait pas nier que Kosta était un réel boulet à traîner sur le plan amical de sa vie.
Alors elle l'avait prévenu, début juillet, après avoir appris la terrible nouvelle. « À la rentrée, Kosta, on se fait des potes. On se fait inviter partout, on multiplie les expériences et on s'amuse. T'es partant ? ». Il avait hoché la tête avec un enthousiasme à l'authenticité douteuse. Maëlle l'avait donc menacé. « Que tu me suives ou pas, Kosta, ça m'est égal. À la rentrée, c'est new year, new me. Prépare-toi à voir une nouvelle Maëlle ! ». En y repensant, ses mots avaient peut-être été assez durs. Peut-être que c'était pour ça qu'il semblait l'avoir évitée tout l'été, d'ailleurs. Oups.
Maëlle s'observa dans le miroir avec une certaine anxiété. Au moins, le temps libre dont elle avait disposé cet été lui avait permis d'évoluer, de glow up, comme on disait. Sur tous les plans de sa vie :
- Première étape : relooking vestimentaire. Avant, Maëlle se contentait de s'habiller en prenant les premiers jean-pulls qui lui tombaient sous la main. Désormais, elle suivait la mode de près et s'habillait vintage. Oversize était son mot d'ordre.
- Seconde étape : relooking physique. Nul intérêt d'être bien habillée si c'était pour ressembler à un rat. Maëlle s'était coupée ses longs cheveux et après de mulitples soins coûteux, elle était parvenue à redessiner ses boucles naturelles. Elle avait aussi investi dans des soins anti-acné et se tuait au sport quatre fois par semaine pour dessiner ses courbes. Maintenant qu'elle avait appris à se mettre en valeur, elle avait confiance en elle et ça, c'était la vraie beauté. Elle avait appris à faire de ses défauts des qualités.
- Troisième étape : relooking de personnalité (pas sûr que le terme existe). Les gens intéressants et cools avaient des hobbies, des trucs dont ils parlaient assez bien pour être en mesure de captiver un auditoire. Elle avait tout essayé : le chant, la danse, le dessin, la peinture, l'écriture... Même la couture. Bon, malheureusement, elle ne s'était pas vraiment épanouie dans l'une de ces activités. Mais ce n'était pas faute d'avoir essayé - elle pourrait toujours faire semblant, après tout.Bref, Maëlle était prête pour sa nouvelle vie. Plus de Maëlle transparente et ennuyante. Elle voulait s'amuser et profiter du panel d'expériences que la vie avait à lui proposer, et pour ça, elle s'était convaincue qu'elle avait besoin de changer.
Malheureusement, elle n'avait pas pu changer de lycée et ne pouvait donc pas débarquer en prétendant être la personne qu'elle voulait être. L'ancienne Maëlle, renfermée sur elle-même et peu confiante, allait lui coller à la peau. Tant pis. Elle allait devoir faire semblant. Après tout, s'il y avait bien une chose que les adolescents savaient faire, c'était faire semblant.
Premier pas, elle avait décidé d'arriver sans Kosta à la rentrée. Les inséparables séparés. Elle avait pris la décision hier soir, avant de dormir. Elle espérait que cela ne le dérangerait pas. Au fond d'elle, elle connaissait la réponse, mais elle refusait d'y penser. Pas le temps d'être empathique. Il fallait bien qu'il comprenne... S'ils voulaient s'intégrer, ils devaient apprendre à exister par eux-mêmes. Fini, le duo Maëlle-Kosta qui ne se mélangeait pas aux autres.
Maëlle s'avança vers sa salle de classe avec une boule au ventre. Elle avait déjà planifié à côté de quel groupe elle comptait s'assoir. Elle avait repéré ceux qui étaient encore moins intégrés qu'elle et ceux qui dirigeaient le peloton. Elle savait que grimper dans l'échelle sociale prenait du temps. Elle avait opté pour un groupe de trois filles plutôt sympathiques pour commencer - elle avait déjà échangé plusieurs fois avec elles, et elles se suivaient même mutuellement sur Instagram.
En parlant d'Instagram ! Il ne fallait pas qu'elle oublie Anastasia. Dieu seul savait comment, elle avait « percé » cet été sur les réseaux sociaux. Maëlle n'en revenait toujours pas, pour ne pas dire qu'elle crevait de jalousie. Cela avait chamboulé ses plans d'intégration ; il lui fallait aussi se rapprocher d'Anastasia, qui allait sans doute devenir un personnage clé du lycée.
La blonde prit une grande inspiration et s'engagea dans la salle de classe d'un pas confiant alors que son coeur battait la chamade. La classe était déjà pas mal remplie - tant mieux, c'était plus « cool »d'arriver dans les dernière. Comme ceux qui s'en fichaient de l'école et du regard des autres. Elle sentit des regards étonnés se poser sur elle et ne put s'empêcher de ressentir une certaine satisfaction. Elle avait mérité cette attention, cette reconnaissance.
Elle repéra ses trois proies et s'avança avec assurance vers le trio Léa, Léonie et Laurène. Les trois « L ». Peut-être devrait-elle envisager de se dégoter un pseudonyme, histoire de pouvoir mieux s'intégrer dans le trio.
Elle sourit d'un air confiant aux trois filles et s'assit à côté de Léonie comme si cette place lui était due. Léonie parut surprise, mais pas dans le mauvais sens du terme. Maëlle était soulagée.
« Salut ! engagea t-elle avec un grand sourire. Vous avez passé un bel été, les filles ? »
Ravies de pouvoir raconter leur vie, le trio s'extasia des vacances qu'elles avaient passé ensemble à Barcelone, tandis que Maëlle réagissait avec exubérance à chacune de leurs anecdotes. Elle tentait d'ignorer la jalousie qui lui crevait le cœur. Elle donnerait tout pour avoir la vie de folie que lui décrivaient les trois filles.
Quand vint son tour de raconter son été, elle décida bien évidemment de mentir. Maëlle s'inventa des semaines de rêve passées à la côte d'Azur, au bras d'un bel Iatlien rencontré dans un camping. Lorsque les filles lui demandèrent des photos, elle fut très gênée et changea aussitôt de conversation.« Tu n'es pas avec Kosta ? s'enquit Léa. »
Maëlle ressentit un certain dépit à être toujours associée à Kosta. Ce n'était pas qu'elle avait honte de lui, elle l'aimait de tout son cœur, simplement... Elle aspirait à mieux, désormais. Elle s'apprêtait à répondre lorsqu'elle le vit entrer dans la classe en précipitation, juste avant la deuxième sonnerie. Elle retint un soupir.
Fidèle à lui-même, Kosta n'avait pas fait le moindre effort pour la reprise des cours. Avec ses yeux bouffis et sa tenue mal assortie, il semblait s'être réveillé il y a tout juste cinq minutes. Autrefois, Maëlle appréciait sa nonchalance et son je-m'en-foutisme. Désormais, cela l'embarrassait. Il fallait être un minimum présentable pour être accepté en société, tout de même.
Elle lui jeta un regard froid qui trahissait son agacement mais à son grand étonnement, il lui répondit avec le même air glacial dans les yeux. De quoi se vexait-il, encore ? C'était lui le plus gêné ? Il faudrait qu'ils aient une discussion, tous les deux. Pas sûr que leur amitié survive au plan de Maëlle.
Mais elle devait être sa propre priorité. Car, à cause du cancer de sa mère, elle comprenait enfin comme la vie était éphémère.
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La vie est belle
Teen FictionL'année scolaire au lycée Jeanne d'Arc a pris un autre tournant avec la mort de Farah. Si certains ont repris goût à la vie, d'autres naviguent toujours dans les ténèbres. Léo affronte le deuil de son premier amour en se réfugiant dans l'alcool pour...