Anastasia était triste.
Elle ressentait un vide étrange depuis quelques jours. C'était la première fois que cela lui arrivait. Enfin, elle avait toujours ressenti un espèce de vide en elle, mais cette fois-ci, il était décuplé car il était directement lié à une personne : Charlie.
Anastasia aurait tout donné pour revenir à la fameuse soirée de Laurène où elle l'avait embrassée. Elle regrettait amèrement son geste - non pas parce qu'elle n'en avait pas eu envie, mais à cause des conséquences qu'il impliquait. Elle était incapable de se convaincre que ce baiser ne voulait rien dire, et elle savait que Charlie l'avait ressenti. Or, le rejet de Charlie... Elle n'avait pas pu le supporter. Sans son rejet, elle n'était pas sûre qu'elle aurait pu à nouveau la regarder dans les yeux, mais avec, elle avait tout bonnement préféré couper les ponts.
Anastasia était surtout blessée de ce que Charlie lui avait dit. Elle avait sous-entendu qu'elle n'était pas habituée à ressentir des choses "réelles" - qu'elle était superficielle, en d'autres termes. Et elle craignait que ce soit vrai.
Depuis des années déjà, Anastasia s'était repliée sur elle-même pour fuir le regard des autres. Elle avait développé une certaine anxiété sociale au début du collège. Quitter l'école primaire, où toute la classe se connaissait et jouait ensemble, avait été violent pour elle. Au collège, une centaine de gamins en pleine construction identitaire se retrouvaient à cohabiter ensemble avec pour seule règle la loi du plus fort. Tout devenait compliqué, les groupes de pairs avaient désormais une fonction de domination des autres, les professeurs avaient peu de temps à consacrer à leurs élèves et connaissaient à peine leur prénom. L'école primaire lui manquait cruellement : tout était si simple, l'instituteur était un interlocuteur privilégié, les cours étaient ludiques et pratiques, les enfants s'amusaient ensemble sans se soucier de la crainte de se retrouver seuls et écrasés par le groupe à chaque instant.
Anastasia n'avait pas supporté cette transition. Elle avait tenté de rentrer dans le moule mais avait vite compris qu'elle n'y trouverait jamais sa place. On se moquait d'elle parce qu'elle rougissait, parce qu'elle portait les vieux vêtements de ses cousins, parce qu'elle avait de bonnes notes et qu'elle écoutait en classe. Et elle était une victime facile. Parce qu'elle avait accepté son rôle de souffre-douleur et s'était convaincue que la situation ne changerait jamais. Quoi qu'elle fasse, elle avait le sentiment que ce ne serait jamais assez, que jamais on ne pourrait l'aimer pour ce qu'elle était. Que si les gens se moquaient d'elle, c'est parce qu'il y avait une bonne raison.
L'arrivée des réseaux sociaux dans sa vie avaient d'abord constitué un échappatoire à cette spirale d'enfer. Le soir, en rentrant chez elle, Anastasia pouvait passer des heures à lire sur Wattpad, à échanger avec des amis virtuels, à regarder des vidéos drôles qui lui permettaient de retrouver le sourire. Cela lui permettait de faire une coupure avec ses souffrances et d'oublier ce à quoi elle était vraiment confrontée. Mais au fil des années, le piège des réseaux sociaux s'était doucement refermé sur elle.
Elle était devenue prisonnière de ce qui avait toujours constitué son échappatoire. Elle était devenue incapable d'apprécier la vraie vie mais surtout de s'y confronter. Sortir dehors constituait une épreuve, elle se sentait tellement en décalage avec une réalité à laquelle elle ne se confrontait plus que le monde lui paraissait hostile. Elle avait le sentiment que le moindre regard posé sur elle était motivé par un jugement négatif. Elle n'arrivait plus à gérer les interactions humaines.
Alors elle s'était convaincue que les réseaux sociaux constitueraient un abri face à ce monde étranger. Elle avait investi des relations avec des personnes qu'elle ne connaissait pas vraiment et qu'elle ne verrait jamais. Elle était devenue obsédée par les vidéos de beauté, de routine sportive, de glow up, et de toutes ces autres filles qui constituaient un idéal à ses yeux. Ces filles-là, nul doute qu'elles n'avaient aucun problème à rentrer dans le moule de la société. Elles en étaient le fondement, l'exemple, l'inspiration. Anastasia les avait regardées, avec des yeux débordants d'admiration mais aussi de jalousie, jusqu'au point de non-retour : elle avait décidé d'être comme elles. Elle était devenue une pâle copie de ces filles qu'elle admirait, elle copiait des maquillages, des vêtements, des expressions, des routines de vie.
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La vie est belle
Novela JuvenilL'année scolaire au lycée Jeanne d'Arc a pris un autre tournant avec la mort de Farah. Si certains ont repris goût à la vie, d'autres naviguent toujours dans les ténèbres. Léo affronte le deuil de son premier amour en se réfugiant dans l'alcool pour...