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- Alors, par quoi voulez-vous qu'on commence ?

     Sirotant paresseusement sa glace à l'eau, Chiller était à présent rendu dans le salon, où il continuait d'examiner les vieilles breloques qui l'entouraient.

- Et bien vous pourriez commencer par vous représenter, répondit-elle. Je suis désolée mais avec ce qui s'est passé je n'ai pas bien retenu votre nom hier.

      Il avait vraiment essayé de lui tenir tête quelques minutes plus tôt, oui, il avait vraiment essayé. Il s'était dit que des petites vieilles rebelles comme elle, il en avait déjà tué des tas. Accompagné parfois de quelques remords certes, mais rien qui ne l'avait empêché de poursuivre tranquillement sa vie. Il s'était dit qu'il allait s'en remettre, que ce n'était pas la première fois qu'il perdrait un humain auquel il s'était attaché, et que de toute façon, il avait une promesse à tenir. A un moment, quand son interlocutrice a commencé à jouer avec sa corde sensible, il avait même tenté de faire appel à ce côté malsain qu'il détestait tant chez lui, ce côté qui prenait tellement de plaisir à voir ses victimes se consumées dans les flammes qu'il avait lui-même invoquées. Ca l'avait poussé à mentir, et à faire croire à la femme qu'elle avait épuisé une de ses chances, mais ça ne l'avait pas aidé beaucoup plus. "Faire croire", simplement, autant à elle qu'à lui d'ailleurs. Parce que voilà: dès le début Chiller savait qu'il n'allait rien faire de tout ce qu'il avait prévu. Elle était persuadée que c'était à elle qu'il faisait gagner du temps, en réalité, c'était à lui. Et la glace n'avait été qu'une excuse comme les autres, aussi maladroite que les autres, pour trouver le courage de faire flamber cette stupide -mais si charmante- baraque.

- Sunday Chiller, pour vous servir.

      Le problème, c'est que pour se sortir de sa situation, il lui avait proposé de jouer à un jeu dont elle était inconsciemment devenue la maîtresse. Et il devait maintenant se plier aux règles qu'il avait lui-même établies.

- C'est un joli nom, s'exclama-t-elle. Et, si ça ne vous dérange pas, que faites-vous dans la vie, Sunday ?

      Chiller fut alors bien moins dérangé par sa question que surpris d'être appelé par son prénom -jusque là, seul le boss se donnait ce privilège. Il voulut rétorquer, mais se dit que finalement, ce n'était peut-être pas un mal.

- Vous voulez dire, à part entrer par effraction chez les gens, être séquestré par une folle avec un rouleau à pâtisserie, et mettre fin à leur vie ?

      Elle pouffa, et lui rendit son regard malicieux. Il décida qu'elle valait la peine qu'il lui explique:

- Je suis un Passeur d'Âme, ou Pass'âme, pour les intimes. Nom finement trouvé puisque mon boulot, c'est de faire passer les âmes dans l'au-delà. Avec mes collègues on reçoit de temps à autre des avis de décès et on a pour objectif de les mener à bien. En d'autres termes, si les gens meurent au moment où ils étaient destinés à quitter ce monde, ben c'est grâce à nous.

      Une fois son exposé terminé, Mado le regarda le visage neutre. Il s'attendait aux questions classiques du genre "Comment ça "destinés à quitter ce monde" ? Tout est décidé à l'avance ? Qui avez-vous épargné d'autres ?" - cette dernière question, il aurait eu bien du mal à lui fournir une réponse. Mais à la place, elle formula simplement:

- Et bien, ça ne doit pas être facile tous les jours comme travail...

      A qui le dites-vous, pensa Chiller.

- Surtout quand vous faites face à une vieille timbrée comme moi qui refuse de faire ce qu'on lui dit.

      Suite à cette déclaration, le jeune homme la regarda avec étonnement. Elle avait le visage on ne peut plus sérieux, mais de ses yeux se dégageait une malice presque enfantine. Alors, comme d'un commun accord, ils éclatèrent tous deux de rire au même moment. Tandis qu'elle continuait de s'esclaffer, toujours de ce petit rire discret mais libéré, Chiller lui porta un regard rempli d'affection. Ce n'était pas souvent qu'elle riait comme ça, c'était évident. Certes, elle vivait seule, ça ne devait pas aider, mais Chiller voulait savoir jusqu'à quel point elle s'était inconsciemment fermée à la raillerie. C'est alors que son attention se porta vers une série de photos encadrées posées sur le buffet, près de la porte de la cuisine.

Les feux de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant