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     Cela faisait maintenant deux semaines que Chiller rendait visite à Mado. Pas tous les jours non plus, un sur deux, et au début, il ne restait même pas très longtemps. Le jour suivant son refus de la tuer, il n'y était pas allé car il avait encore besoin de réfléchir un peu à tout ça - il y avait songé quelques heures, avant de simplement oublier ce qu'il comptait faire, pour ne s'en rappeler que le lendemain. De son côté Mado avait passé la journée prise d'inquiétude, angoissée à l'idée que tout ça ne fût qu'un rêve. Le matin, elle était restée un long moment devant son miroir, tiraillée par l'envie de laisser cette histoire derrière elle, et le besoin de ne surtout pas oublier ce qu'il s'était produit. Elle avait à peine mangé au cours de la journée, se contentant de tasses de thé qui s'obstinaient à refroidir dans ses mains, et ne trouvant du réconfort que dans la sotte vision de sa serrure de porte calcinée. Cela la rassurait de savoir qu'elle avait au moins toute sa tête à ce niveau là, car pour le reste, elle en était moins sûre. En effet, elle ne parvenait pas à savoir si son état de stress était dû à l'impatience de revoir ce mystérieux type, ou au contraire à l'idée qu'elle ai pu faire une terrible erreur en l'invitant chez elle. Rajouté à cela le regard accusateur de son mari qu'elle sentait en permanence figé vers elle, et elle ne savait plus où donner de la tête. Le lendemain matin, comme la veille, elle s'était réveillée tôt, après une nuit passée en proie à l'incertitude. Une fois de plus, elle était restée allongée sur son lit, tandis que les premiers rayons du soleil filtraient vainement à travers les volets. Elle se demandait si c'était ainsi qu'elle allait maintenant vivre, sans arrêt à douter de l'existence - et surtout à la venue- de ce jeune homme dont elle ne connaissait rien. Puis finalement, quand les oiseaux émirent leurs premiers piaillements, elle s'était dit qu'il était ridicule de tomber aussi bas après une seule journée sans nouvelles. Alors, elle avait pris une grande inspiration qu'elle aurait voulu moins tremblotante, et s'était levée. Comme la veille, elle avait omis de manger sa Golden du matin, et s'était contentée d'un thé avant de se diriger vers la salle de bain, l'esprit toujours rempli de questions. Pourtant, quand elle était entrée dans le salon, les cheveux encore humides, et qu'elle le vit assis dans un fauteuil en train de lire un magazine santé, toutes ses foutues questions s'envolèrent d'un coup.

- Oh, salut ! dit le jeune homme quand il l'aperçut. Désolé d'arriver à l'improviste, je t'ai entendu prendre ta douche et je voulais pas... Je peux te tutoyer au fait ?

- Sunday !

      Un large sourire s'était étalé sur le visage de la vieille femme, avant qu'elle accourt vers lui avec entrain. Si elle ne s'était pas retenue, elle l'aurait embrassé.

- Je suis si contente que tu sois revenue ! Et oui, tu peux me tutoyer.

      Il se leva et sourit à son tour, de ses dents pointues qui lui donna un léger frisson dans le dos dont elle avait décidé de se moquer. Sunday lui avait alors tendu la main. Elle avait hésité, néanmoins plus par incertitude de savoir comment les jeunes se saluaient aujourd'hui que par réelle crainte de la toucher. Finalement, elle l'avait empoignée. Sa peau était d'une chaleur bienfaisante.

      Sans qu'aucun des deux ne s'en aperçoive à ce moment-là, cette simple poignée de main venait de sceller définitivement leur amitié. Cette dernière avait pourtant été timide au début, car malgré la satisfaction certaine procurée par leur retrouvailles, ils n'avaient discuté qu'une ou deux heures ce jour-là. En effet, aussi surnaturelle que leur relation fusse, ils n'en restaient pas moins que deux êtres encore bien inconnus l'un à l'autre, et n'avaient donc pas osé aborder les futilités qui font pourtant les plus grandes conversations. Aussi avaient-ils commencé par les banalités.

      C'est Mado qui s'était chargée d'engager la discussion, autour d'une tasse de thé pour l'une et d'une glace à l'eau pour l'autre, en abordant un peu son quotidien. Elle s'était trouvé bête à parler comme ça de sa petite vie sans importance à un garçon aussi extravagant que lui, pourtant il l'avait une fois de plus écouté sans broncher, de ce regard enfantin qui lui fit chaud au cœur. Elle lui avait ensuite demandé un peu plus sur lui, sous entendant naturellement de lui en raconter davantage sur sa drôle de condition, mais il avait esquivé le sujet avec une aisance maîtrisée. De toute évidence, il avait l'habitude de ne jamais parler précisément de lui, ce que Mado décida de respecter. Elle en avait donc simplement appris sur ses goûts, qu'il aimait flâner en ville, rester des nuits entières au bar avec des amis, ou passer de longues sessions sur sa guitare. Il parut d'ailleurs satisfait quand Mado l'informa que son fils aussi partageait sa passion pour la musique.

     Pendant un instant, elle n'avait même plus sembler remarquer les flammes danser sur la tête du jeune homme.

- Ça va, Mado ? lui avait-il demandé tout d'un coup, soucieux.

      Elle s'était alors aperçue qu'elle le fixait depuis plusieurs secondes, en même temps qu'un silence pesant s'était abattu sur le salon.

- Oh, oui oui bien sûr. Désolée...

- Y'a pas d'mal.

      Et il s'était levé, confirmant la fin de leur entrevue. Mado ne fut pas surprise de le voir partir si tôt, après tout, ils s'étaient dit tout ce qu'ils avaient à dire pour aujourd'hui,et cette fois-ci, elle savait qu'il y aurait un demain. Elle avait raccompagné Sunday jusqu'à la cuisine, mais juste avant de s'engouffrer dans le gaz incandescent, il lui avait tendu un billet. Sans un mot, elle l'avait interrogé du regard.

- Pour hum... la serrure, avait-il dit, penaud. Je sais pas vraiment si ça va suffire, c'est pas trop mon truc les affaires d'argent d'habitude...

      Dans un rire, elle lui avait délicatement repoussé le bout de papier vers lui.

- C'est rien va, je m'en chargerai.

      Alors son visage s'illumina à nouveau, et il disparut dans une volée de flammes ardentes. Mado sourit: elle avait bien envie d'une petite Golden.

Les feux de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant