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     Le soir tombait, et les tensions du matin s'étaient envolées en même temps que les nuages du ciel. A l'extérieur, le soleil laissait encore poindre des rayons vifs mais à la luminosité passée. Cela suffisait pourtant aux jeunes du quartier pour sortir célébrer l'orée des vacances et bientôt, leurs cris vinrent se mêler à l'incessant tic tac de l'horloge du salon.

- Je devrais la balancer celle-là, elle m'énerve, marmonna Mado.

      Chacun assis dans un des deux gros fauteuils qui ornait la pièce, elle bloquait depuis dix bonnes minutes sur ses mots croisés, tandis que lui répondait avec rigueur à un quiz "Quelle femme active êtes-vous ?" d'un magazine.

- T'aurais p'tet dû y penser avant de vouloir faire construire une putain de cheminée, rétorqua Chiller avec nonchalance.

      Ils avaient passé la journée ensemble. Quand ils furent rentrés de leur visite au cimetière, il avait à nouveau voulu la laisser tranquille, mais elle avait insisté pour lui faire à manger. Chiller ne refusant jamais une telle invitation, il avait vite cédé. A la base, il s'était promis de partir après le repas, mais la conversation s'éternisant, il était finalement resté tout l'après-midi. Malgré les événements du début de journée, ils avaient très vite repris leurs petites habitudes. C'était Mado qui avait fait le premier pas, en engageant une discussion sur les mérites de sa dinde aux champignons qu'elle voulait tant lui faire goûter. Soulagé que les choses aient enfin repris leur cours normal, Chiller n'avait pas tardé à s'accaparer une glace dans le frigo. Ainsi cette journée n'avait pas sembler différente de toutes les autres.

- C'est pour toi que je fais ça, grand nigaud. Et si tu continues de jurer je pourrais bien t'enlever ce privilège.

      Ils avaient été néanmoins rappelés à la réalité quand le téléphone sonna vers 16h30. C'était Vincent, le fils de Mado. Cette dernière fut d'abord surprise d'être ainsi interrompue dans ses récits, puis s'était empressée d'aller décrocher. "Allo", avait-elle répondu d'une voix blanche, presque timide, qu'elle avait néanmoins troquée pour un ton plus confiant après quelques instants. La conversation n'avait pas duré cinq minutes. Est-ce parce qu'elle avait un invité que la vieille femme s'était contenté d'aller à l'essentiel ? Ou était-ce la durée moyenne des discussions qu'elle entretenait avec ses enfants ? Chiller ne le savait pas, et était préoccupé par autre chose. De son côté, il avait patiemment attendu que son hôte termine et, bien que l'homme à l'autre bout du combiné ne pouvait ni le voir ni l'entendre, s'était fait d'instinct le plus discret possible. Si Mado avait manifestement oublié que son fils devait appeler aujourd'hui, Chiller, lui, n'avait cessé d'y penser dans un coin de sa tête. Ce n'était pourtant pas quelque chose qui le tracassait d'ordinaire. Seulement là, en entendant la voix de cet homme qui lui était si inconnu, mais qui pourtant était une part intégrante de la vie de son amie, une drôle de sensation l'avait reprit. Il l'avait déjà éprouvé le matin sur le chemin du cimetière: cette sensation de ne pas être à sa place. Sur sa tête, ses flammes dansaient nerveusement.

- Oh milles excuses milady. C'est trop d'honneur que vous me faites.

- Hé hé, tais-toi, va...

      Lorsque Mado eut raccroché le téléphone, elle avait respiré un grand coup pour faire disparaître les sanglots qui avaient retrouvé leur chemin vers sa gorge. Elle chassa heureusement bien vite les dernières larmes de ses joues dès lors qu'elle s'aperçut du trouble du jeune homme. Sans plus tarder, elle se dépêcha de le rassurer: il n'avait pas à se sentir coupable d'être là à la place de quelqu'un d'autre, et ce qui était fait était fait (elle avait dit cette dernière phrase avec une pointe de mélancolie dans la voix). Cela avait fait du bien à Chiller, même s'il n'avait pas le moins du monde évoqué ce qui agitait son esprit. Elle l'avait simplement deviné, et il assuma que c'était une sorte de super-pouvoir de grand-mère qu'il ne pouvait comprendre. Un fois de plus, il avait proposé de partir. Une fois de plus, Mado refusa. Précédemment, elle n'avait pas voulu qu'il s'en aille pour ne pas rester seule en cette journée compliquée. Là, elle avait tenu à ce qu'il reste afin d'être là pour lui. Du moins s'en était-elle assez persuadée pour qu'ils soient à présent tous deux assis devant le pan de mur vide.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 25, 2021 ⏰

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Les feux de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant