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     La décapotable filait bon train à travers la ville. Sur la route, elle croisa de nombreux véhicules de pompiers et de polices. Tous se dirigeaient vers l'épaisse fumée rougeoyante qui s'élevait au loin, sans savoir qu'ils passaient juste à côté des déclencheurs de cette catastrophe. Les deux passagers de la voiture étaient de toute manière bien trop distraits à se prendre la tête pour faire attention aux quelconques problèmes qu'ils auraient pu rencontrer.

- Est-ce que ça t'arrive parfois de lire les dossiers des personnes dont tu es censé t'occuper ? s'exclama Burnett, furibond.

-Ouais ouais carrément. Peut-être pas en entier, certes, mais eh, on a jamais précisé que ça devait être le cas.

     Chiller haussa les épaules et se tourna vers son collègue d'un air narquois. Ce dernier lui répondit par un soupir toujours plus agacé:

- Très bien, alors est-ce que tu connais les informations de base à savoir sur elle ?

     Le jeune homme fit semblant de réfléchir:

- Hum, son prénom ? Et le fait que c'est une "elle", ça, tu viens de le dire, c'est facile.

      Burnett faisait vraiment de son mieux pour garder les mains sur le volant et non pas autour du cou de son coéquipier.

- Et ?

      Chiller parut surpris par cette question:

- Et quoi ?

- Son nom, son âge, sa situation sociale, où elle vit ? s'énerva Burnett.

-Oh ! Hum, laisse-moi quelques secondes et je suis sûr que je peux te retrouver son nom de famille. Je me souviens qu'il était rigolo.

     Le conducteur, sérieusement agacé, préféra ne rien répondre que de risquer l'accident de voiture. D'autant plus qu'ils s'engageaient vers un large quartier résidentiel, marquant la fin de leur course. Quelques instant plus tard, ils se garaient non loin d'une maison à l'allure modeste mais à l'allée visiblement décorée avec soin.

- Bon aller, finit par concéder Chiller, dis-moi tout, t'en meurs d'envie.


- 79 ans, retraitée tu t'en doute, veuve depuis 15 ans elle vit seule dans cette maison. D'ailleurs sa maison elle doit l'emporter avec elle: fuite de gaz, ça devrait pas te poser trop de problèmes.

      Pourtant son interlocuteur fit une grimace embarrassée.

- Quoi encore ? demanda Burnett qui n'en avait au fond pas grand chose à faire.

- C'est une vieille. J'aime pas tuer les vieux.

      Il commença à lui faire un semblant d'yeux doux, qu'il savait pourtant obstrués par ses lunettes de soleil.

- Oui, et officiellement tu n'aimes pas non plus tuer les enfants, les femmes, les handicapés, les noirs, les homosexuels, les gros, j'oublie quelque chose ?

- Les roux.

- Évidemment... mais pourtant tu vas bien devoir y aller chercher cette gazinière,reprit-il, et tu vas le faire fissa parce que je vais pas t'attendre toute la journée !

      Chiller lui répondit pas un "oui bon ça va" vaincu et sortit de la voiture.

      Arrivé à la porte d'entrée, il frappa quelques coups avec entrain. Bien sûr, il n'avait pas besoin d'entrer directement dans l'habitation pour déclencher cette fuite de gaz, et aurait tout à fait pu le faire à distance. Néanmoins, faute de lire attentivement les dossiers qu'on lui fournissait, Chiller aimait rencontrer en personne l'âme qu'il allait faire passer dans l'au-delà. De toute manière, ce n'est pas comme si celle-ci allait se souvenir de lui très longtemps.

      Il attendit plusieurs secondes, mais personne ne lui répondit. Encore quelques coups, toujours rien.

- Hello ? finit-il par appeler. Y'a quelqu'un ? Je suis là pour hum... pour le... gaz.

      Il avait fini sa phrase sans grande conviction: inventer des excuses un tant soit peu crédibles, ce n'était pas vraiment son fort. A quelques mètres derrière son dos, il sentait l'exaspération de son chauffeur furieusement tournée vers lui. Il aurait d'ailleurs pu rester de longues minutes supplémentaires devant cette porte, rien que pour le plaisir de le faire mariner.Toutefois, l'impatience de Chiller de rentrer chez lui manger un bonne glace se faisait largement dominante à l'envie d'ennuyer une fois de plus son camarade.

      Toujours sans réponse, il entreprit d'ouvrir lui-même la porte, mais celle-ci était verrouillée. Sans se poser plus de questions, il approcha sa main de la serrure. Quelques secondes plus tard, cette dernière avait fondu, laissant libre cours au jeune homme de s'introduire dans la maison. Il se retrouva dans un charmant hall d'entrée, très lumineux, qui s'ouvrait sur un salon tout aussi charmant. "Charmant", pensa-t-il. Il avait de l'affection pour les vieilles choses dans les vieux endroits, et cette maison, sans être totalement décrépie pour autant, semblait avoir de nombreuses histoires à raconter. Toutefois, une des vieilles choses qui était censée s'y trouver, n'était toujours pas en vue.

- Hello ? appela-t-il à nouveau. Buenas tardes ?

      Comme le silence restait son seul interlocuteur, Chiller décida de visiter les lieux. Il partit vers la gauche du hall, passa à côté d'un bureau placé sous l'escalier, et arriva finalement dans une petite cuisine. Au moins, il savait où se trouvait la gazinière, mais toujours personne à l'horizon. " Bizarre, pensait-il, d'habitude quand c'est Burnett qui lit mes dossiers je suis sûr qu'il y a pas d'erreur. Ha, quand je lui dirais qu'il s'est planté il va..."

      Il n'eut pas le temps de finir sa réflexion. Un coup violent s'abattit su son crâne, le faisant s'évanouir sur le champ.

Les feux de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant