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     Madeleine raccrocha le téléphone, et esquissa un faible sourire. Étrangement, elle se sentait apaisée. Ce matin, comme d'habitude, elle s'était réveillée en même temps que les premiers chants d'oiseaux - cela faisait bien longtemps qu'elle avait abandonné son réveil. Quand elle avait ouvert les volets, les rayons doux et chauds du soleil de printemps lui avaient réchauffé sa peau passée, comme d'habitude, elle avait savouré cet instant. Puis elle s'était préparée, maquillée, pomponnée, comme elle ne voulait pas perdre l'habitude de faire, et enfila sa précieuse chaînette dorée autour du cou. Une fois sortie de chez elle, elle avait salué comme d'habitude M. Pichon par politesse, car elle le trouvait un peu con, malgré les après-midi passées chez lui à jouer au bridge. Elle s'était ensuite rendue au marché, avait acheté son poisson, sa crème fraîche, et ses habituelles Golden. Une fois revenue chez elle, elle s'était assise sur sa terrasse, à l'ombre du boulot, et avait commencé à feuilleter un de ses magazines. Midi arrivé, elle se mit à la cuisine, où elle avait chantonné comme d'habitude, quelque airs qui lui revenait en tête. Ce n'est qu'après son repas, passé à écouter d'une oreille les informations du jour, que Madeleine avait cessé de suivre ses habitudes. Ce n'était que lorsqu'elle fut occupée à faire un peu d'ordre dans son salon qu'elle s'était stoppée devant le téléphone. Elle avait hésité un long moment devant le combiné, les mains au bord des lèvres et les doigts qui la titillait de composer le numéro.

     Parce qu'aujourd'hui n'est pas comme d'habitude, pensait-elle en boucle. Aujourd'hui je vais...

      Elle ne voulait pourtant pas finir cette phrase. Madeleine avait eu beau avoir passé la matinée à aborder la journée comme toutes les autres, et la journée avait eu beau abordé Madeleine de la même manière, la vieille femme ne pouvait s'empêcher d'y penser.

      Bien sûr, elle avait d'abord cru que c'était un rêve, et n'avait même pas pris la peine de vérifier dans son grenier l'emplacement de la chaise et l'état de la corde. Tout cela paraissait bien trop irréaliste, et elle avait mis ces élucubrations sur le compte de la vieillesse. Pourtant, quand elle descendit les escaliers, elle n'avait pu nier la nature calcinée de la serrure d'entrée. Elle était d'ailleurs restée un moment devant celle-ci, comme avec le téléphone, à se demander si ce qu'elle vivait arrivait bel et bien. Finalement, elle avait tapé du pied au sol, agacée de son propre comportement, et avait pensé: Bah, je vais pas m'arrêter de vivre pour si peu ! Et elle s'était donc tenu à sa parole.

      Mais voilà qu'elle se trouvait là, comme une idiote devant ce telephone tout aussi idiot. Si aujourd'hui avait été une journée comme d'habitude, se disait-elle, elle n'aurait pas songé un seul instant à ce satané appareil. Toutefois, qu'elle le veuille ou non, aujourd'hui n'était pas comme d'habitude, et puisque toutes les sottises qu'elle avait cru imaginées étaient vraies, alors elle n'avait rien à perdre à composer ce fichu numéro.

      *Bip bip biiiip* fit le téléphone.

      Le souffle court, elle réessaya, maudissant son attitude qu'elle jugeait immature.

      *Bip bip biiiip*

      Madeleine raccrocha le téléphone, et esquissa un faible sourire. Étrangement, elle se sentait apaisée. Après tout, c'était sans doute mieux que sa fille ne réponde pas, et ne préféra donc même pas retenter le coup avec son fils. Car s'il y avait bien deux personnes devant lesquelles Madeleine ne voulait surtout pas perdre la face, c'était bien ses enfants, et en l'occurrence, ils auraient été bien étonnés de l'entendre baragouiner ce qui se serait apparenter à des mots d'adieux sortis de nulle part.

     Et surtout, pensa la vieille femme, completement incongrus.

      Parce que voilà, peu importe ce que l'autre type bizarre avait pu lui dire la veille, Madeleine n'avait certainement pas envie de mourir aujourd'hui. Elle se retourna donc dignement vers la cuisine, fière d'avoir dépassé ces doutes ridicules, et commença à se préparer un thé.

Les feux de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant