Chapitre 3

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Une main se referma sur mon bras. C'était le père de Lizbeth qui, toujours aussi solidement cramponné à la barrière, essayait de m'attirer vers eux. Mais Skylynn, qui me tenait toujours par la main, m'entraîna de l'autre côté.

Je perdis l'équilibre.

Mon épaule cogna contre le sol et une odeur d'herbe mouillée vint me chatouiller les narines. Un pied se posa sur ma jambe, m'arrachant un cri de douleur, et je me recroquevillai sur moi-même pour ne pas me faire piétiner. Mais c'était inutile, car les gens tombaient comme des mouches autour de moi.

La terre tremblait si fort qu'il était impossible de rester debout, surtout avec des dizaines de personnes accrochées à vous. Sur scène, les garçons paniquaient. Liam essaya de relever Harry, mais ils finirent tous les deux les fesses par terre. Niall et Louis avaient eu la bonne idée de s'asseoir, et Zayn était à quatre pattes en train de se traîner vers eux. Les agents de la sécurité ne savaient plus où donner de la tête, entre les blessés et ceux qui essayaient d'en profiter pour se hisser sur scène.

C'était le chaos.

Je sentais la terre qui tremblait sous mes doigts, je sentais les gens qui s'effondraient autour de moi, l'air était saturé d'électricité et le stade penchait sérieusement d'un côté puis d'un autre. En respirant, j'avalais de l'air et de la poussière. Mes poumons brûlaient et mon cœur tambourinait dans ma poitrine, mais ce n'était pas la même sensation qu'avant le concert.

Mes frissons n'étaient pas dus à l'excitation, je ne pleurais pas de joie mais de peur.

Et ces hurlements...

Oh, ces hurlements étaient ceux de milliers de personnes qui appelaient à l'aide, Lizbeth suppliait son père de ne pas la lâcher, Tasha avait perdu Berth dans la foule en panique, quelqu'un cherchait désespérément Charlie...

Et puis, sans signes avant-coureurs, les secousses s'arrêtèrent. Les cris se turent. Le bruit de métal en mouvement s'arrêta. Un silence, lourd comme une tonne de plomb, s'abattit sur le stade. Je n'entendais plus que mon cœur qui battait dans mes oreilles.

Je n'avais rien. J'étais en vie. Nous étions en vie.

Et pourtant, j'aurais juré que c'était la fin du monde.

Les cris avaient laissé place aux sanglots, Tasha avait retrouvé Berth et la serrait à l'en étouffer, Lizbeth avait disparu entre les bras de son père, Charlie manquait toujours à l'appel et Skylynn, qui avait reçu un violent coup de pied, saignait abondamment du nez.

Je me relevai et tournai sur moi-même. Partout, c'était la même scène: des gens qui se serraient les uns contre les autres, qui appelaient à l'aide, qui se hissaient sur la pointe des pieds pour voir si les garçons allaient bien. Les garçons. Un rapide coup d'œil sur scène me confirma que oui, ils allaient bien. La batterie de Josh, ainsi que Josh lui-même, avaient dégringolé de l'estrade, mais il était sain et sauf. Sa batterie, en revanche...

- Vous m'entendez?

La voix de Niall résonna à travers le stade. La réaction ne se fit pas attendre. Les sanglots s'arrêtèrent et tout le monde se tourna vers la scène. A travers mes larmes, je ne voyais qu'une tâche blanche -les cheveux de Niall- qui s'avançait dans le prolongement.

- Ne paniquez pas. Vous allez être dirigés vers les sorties, vous serez tous sains et saufs. En attendant... En attendant...

Niall se mit à fredonner une chanson. Pour nous rassurer. Il fut rejoint par les autres, Harry et Liam partageant le micro de Zayn. Les leurs avaient roulé et étaient tombés de la scène.

J'avais la gorge nouée par l'angoisse et l'émotion. Comment était-ce possible? Comment cinq garçons, qui étaient sans doute aussi effrayés et aussi traumatisés que nous, pouvaient encore chanter pour nous réconforter?

Ils n'étaient pas humains, bon sang, ils étaient beaucoup plus que ça.

Les lumières vacillèrent un moment et deux des projecteurs s'éteignirent. Le concert n'était plus qu'un vague souvenir. Je retrouvai Skylynn, Berth et Tasha et les serrai contre moi. Nous pleurions toutes. Nous avions peur. Nous étions soulagées d'être encore en vie. Nous étions fatiguées, blessées, instables.

Les garçons vinrent s'asseoir à quelques mètres de nous et continuèrent à chanter. Je ne pouvais plus détacher mon regard d'eux. Je voulais leur crier de s'enfuir, de se mettre à l'abri, de craquer comme nous le faisions tous. Mais ils restaient forts. Forts, et rassurants.

- Merci, soufflai-je à Louis.

Il était assis tout près de moi et, avec le silence qui régnait dans le stade, il m'entendit. Il ne dit rien, mais il m'avait entendue. Je le voyais dans son regard, je l'entendais dans sa voix qui gagnait en puissance.

Il m'avait entendue.

Je retirai mon gilet et nettoyai le sang sur le visage de Skylynn, qui était en état de choc. Elle était plus pâle que pâle. Ses yeux étaient exorbités. Elle tremblait si fort que ma main vibrait, elle aussi. Ses cheveux, qui étaient lisses quelques heures auparavant, étaient à présent emmêlés et pendaient autour de son visage.

Je ne devais pas être beaucoup plus jolie à voir. En fait, nous faisions tous peur à voir. Je tenais encore le visage de Skylynn entre mes mains lorsque nous fûmes de nouveau projetées à terre. Mon hurlement resta coincé dans ma gorge, me donnant l'impression de la déchirer, littéralement. Cette fois, personne ne fut épargné.

Nous nous sommes tous effondrés comme un château de cartes.

La structure de la scène s'écroula, comme si elle avait été construite avec des allumettes. Les projecteurs se décrochèrent. Une douleur cuisante me marqua la joue droite et du sang se répandit dans ma bouche. Cette fois, je hurlai pour de bon. Mais mon cri se perdit dans le vacarme des gradins qui s'affaissaient dans un grondement sourd.

- Carmenn! Louisa!

C'était plus fort que moi, je ne pouvais pas m'en empêcher. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à mes deux nouvelles amies, ces deux filles si gentilles qui étaient probablement grièvement blessées, à présent.

J'étais à plat ventre par terre, le nez dans l'herbe, crachant mon propre sang. Ma main se referma sur une touffe de cheveux. Ma vue était brouillée par des larmes de douleur, de peur, de chagrin... Je ne savais pas où étaient les autres, je ne savais pas ce qu'il était advenu de mes idoles, je ne comprenais pas ce qui se passait.

La terre tremblait, c'était la seule certitude que j'avais.

Elle tremblait, tremblait, tremblait si fort. Cette nature, si belle et si cruelle à la fois, se déchaînait contre nous. Le grincement du métal qui se tordait était assourdissant.

Je rampai, mais au lieu de m'éloigner de la scène pour sauver ma peau, je m'en rapprochai. Lentement, péniblement, j'escaladai les barrières, qui n'étaient plus qu'un tas de gravats, et me traînai vers ce qui restait de la scène. Mes bras et mes jambes butaient contre d'autres personnes, d'autres corps, mais je continuai ma route en laissant une traînée de sang derrière moi.

J'aperçus un trou dans les décombres et m'y glissai. C'était un abri de fortune. Mais c'était un abri quand même. La seule partie de la scène qui avait été assez solide pour résister. Je ne voyais rien. Mon œil droit était fermé et mon œil gauche était rempli de poussière. Sans compter que, sans les projecteurs, il faisait nuit noire. Je suffoquais à cause de la poussière, j'avais du mal à reprendre mon souffle, j'avais l'impression que j'allais vomir mon coeur, je tremblais, je hurlais sans même m'en rendre compte.

C'était indescriptible, inimaginable, inouïe. Toujours à plat ventre, je tendis l'oreille pour essayer d'entendre ce qui se passait autour de moi. Une déflagration me colla face contre terre et je compris. Le stade était en train de s'écrouler autour de moi. Une main se referma sur la mienne et je tournai de l'œil.

Trapped. (One Direction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant